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Tom releva la courtepointe jusque sous le nez de sa jeune épouse encore endormie pour la préserver du froid de l’hiver. Comme elle était belle et douce ! La chaleur de la couche l’appelait irrésistiblement à se replonger sous les couvertures, mais il savait devoir régler cette affaire qui le tracassait depuis plusieurs jours déjà. Au plus tôt il partirait, au plus tôt il serait de retour.
Il remua les quelques braises encore rouges dans l’âtre et ajouta une petite bûche pour qu’Edoras n’ait pas trop froid lorsqu’elle se lèverait. La minuscule chaumière était difficile à chauffer vu son grand âge, mais ce foyer était le leur et il y faisait bon vivre. Edoras avait fait du bon travail en ajoutant quelques touches tout à fait féminines qui avaient rendu à la chaumière un semblant de jeunesse.
Dehors le blizzard ne cessait de souffler depuis trois jours pleins et la neige tombait à gros flocons. Tom enfila son épais pourpoint, noua sa grande écharpe sur la partie basse de son visage et remonta son chaperon de telle sorte que seul son regard sombre était visible.
Il jeta un oeil au dehors, il faisait encore nuit, Tom voulait arriver dans la Passe des Frigères dès le jour naissant. C’est là bas qu’il l’avait vu, déjà deux fois, trop effrayé pour tenter quoi que ce soit.
Il avait croisé des meutes de loups affamés chaque hiver, mais celui n’était pas comme les autres. Il chassait seul. Mais si l’excentricité du loup se résumait à cela, Tom aurait passé son chemin. Il connaissait le regard affamé de la meute au creux de l’hiver, cette bête là avait de la folie dans le sien. Il ne chassait pas pour apaiser une faim qui triture les entrailles, il chassait pour le plaisir de tuer. Tom l’avait lu dans ses yeux. La deuxième fois il l’avait trouvé de dos, penché sur le corps sans vie de sa victime se repaissant de son cerveau. Le loup ne l’avait étrangement ni entendu ni même senti arriver. Tom était resté sans voix, hypnotisé par cette scène écoeurante qui lui avait valu de violents haut-le-cœur. Mais il n’y avait pas que le comportement de la bête qui le troublait, son apparence physique était affreuse. Il avait du se battre longuement car, Tom n’osait croire ce que ses propres yeux lui révélaient, un énorme trou à l’arrière du crâne laissait entrevoir son cerveau. Tout du moins le peu qui dépassait de la boite crânienne puisqu’elle ne contenait pour ainsi dire plus rien. Les yeux exorbités et injectés de sang de ce qui avait été un loup avait convaincu Tom qu’il devait prendre ses jambes à son coup et revenir armé convenablement.
Il attacha donc le lourd ceinturon autour de sa taille, y ficha sa dague et enfila son arc sur l’épaule.
Le jeune paysan jeta un dernier regard en direction du rideau qui séparait la pièce principale de la petite chambre, puis s’en fut dans le froid glacial. Au dehors Pomme, sa vieille jument le salua d’un grognement. Tom traversa le froid pour rejoindre l’écurie toute chaude et gratifier la croupe de Pomme d’une belle tape. Le museau chaud et humide vint fouiller sous le capuchon à la recherche du visage de son maître.
- « Non ma belle, tu ne viens pas avec moi cette fois, c’est bien trop dangereux pour toi dehors. J’ai besoin de toi ici. »
Tom se décida enfin à quitter la maisonnette réalisant que visiblement il était en train de repousser l’échéance du départ.
Il franchit les limites de son champ et entama sa longue marche d’un pas décidé.
Il marcha probablement deux heures à travers bois en direction de la Passe des Frigères, le temps est difficile à évaluer par une telle tempête. Tom ne pensait pas au vent qui pénétrait ses vêtements et lui glaçait les os ni aux flocons qui s’accrochaient à ses cils et lui brouillaient la vue. Il venait du nord-ouest comme l’indiquait son nom, Tom Noroît n’avait pas peur de l’hiver. Il était toutefois transi mais le froid qui le glaçait venait de l’intérieur, il devait revoir et éliminer cette aberration. Tom essayait de se donner du courage car il n’aimait pas bien abattre un animal sans qu’il eu besoin de se nourrir. Mais celui-ci n’en était plus vraiment un. Celui qui avait été un Loup puissant n’était plus qu’une bête assoiffée de sang.
Soudain une frondaison glacée vint violement le frapper au visage. A peine eut-il le temps de sortir de ses pensées, que dans un immense courant d’air froid une masse venue de nulle part lui tomba lourdement dessus. Il roula sur le sol enneigé avec ce qui semblait être une forme humaine. La seconde suivante il sentit un vif pincement à l’avant bras et cru rêver en découvrant que l’homme était maintenant en train de le mordre violement. L’épaisseur du pourpoint et l’obsession de l’agresseur pour son bras lui permirent d’extirper sa dague et de lui planter dans la cuisse. Ne réagissant nullement à la douleur cuisante qu’il aurait du ressentir, l’homme ne fit que resserrer son emprise. Tom revint à la charge et planta la lame dans le cou de l’attaquant. Au lieu de sentir une résistance comme il le prévoyait, celle-ci s’inséra dans la chair comme dans une motte de beurre frais. Transi de peur il planta et replanta la lame. Une gerbe de sang noir lui obscurci la vue mais il continua de planter sa dague jusqu'à ce que la douleur de la morsure prenne fin. A l’issu de cette lutte effrénée Tom ne pu que constater la vision qui s’imposait a lui. La lune révéla un loqueteux puant ressemblant à un cadavre visiblement abîmé. Sa tête ne tenait plus que par un fil de chair putride. Le teint du cadavre n’était plus blafard depuis longtemps mais bel et bien verdâtre et son corps était rongé par les vers.
Tom tenta de se relever pour fuir cette image mais, dérapant dans la neige, il ne fit qu’un bon mètre et vomit tout ce que pouvait contenir son estomac.
Une multitude de questions tournaient dans sa tête. Il essaya de reprendre son souffle puis de faire le tri dans ses pensées. Le sentiment de panique fut difficile à chasser. Il commença par se demander s’il était blessé, visiblement non. Ce soir il allumerait une chandelle et prierait ses ancêtres afin de les remercier de l’avoir préservé.
Il regarda le cadavre en coin sachant qu’il devrait irréfutablement l’observer à nouveau. Tom prit son courage à deux mains et vint se pencher au dessus du corps décomposé et sans vie. Visiblement cette chose avait un point commun avec le Loup recherché. L’arrière de son crâne était fracassé, et seuls quelques petits bouts de cerveau verdâtre restaient dans la cavité rose vif envahie par les vers. Comment cette chose avait elle pu marcher ? Comment cette chose avait elle pu trouver la force et l’envie de l’attaquer ? Il regarda son avant bras marqué de deux belles traces de morsures. Voulait-elle - le mot l’affolait - dévorer sa chair ?
L’idée même de pouvoir envisager qu’un cadavre se déplace lui faisait horreur. Il entrevit alors ce qui acheva de le convaincre. La mâchoire du cadavre ne tenait plus dans son axe et laissait apparaître, à la place qu’occupait la langue auparavant, des restes de chair humaine. Avec effroi il recula de plusieurs pas et entreprit de débarrasser son front et ses gants du sang qui les entachait, lorsqu’il se heurta à son deuxième assaillant.
Celui-ci beaucoup plus vif et musclé, tenait en ses mains un rondin de bois massif et entreprenait clairement de s’en servir pour défoncer le crâne de Tom. Avec chance le jeune paysan esquiva l’attaque. Un sourire malicieux, qu’il pourléchait d’une langue violette, fendait le visage de la créature qui lui faisait maintenant face. Il poussait une sorte de râle empli de gargouillis en brandissant sans aucun mal son arme improvisée à bout de bras. Sa force Herculéenne déstabilisa Tom qui tenta une retraite en esquivant le deuxième assaut. Il inclina la tête, puisque c’est bien elle qui était visée, mais pris tout de même le coup sur la hanche. En pivotant il réussi à se mettre hors d’atteinte du rondin et s’enfuit.
La neige alourdissait chacun de ses pas et sa hanche douloureuse n’arrangeait rien, sa progression était très difficile. La créature partit à sa poursuite. Comme pour ajouter en horreur à la situation, si son état de pourriture avancée le faisait claudiquer il n’eut pas à se presser. Il emboîta sans mal le pas de Tom se servant des profondes empreintes laissés par celui-ci dans la neige épaisse. La tempête s’était quelque peu apaisée et permettait au cadavre ambulant de faire de larges arcs de cercle avec son rondin, essayant d’atteindre Tom. Il riait à gorge déployée, Tom était sa proie et il prenait un plaisir tout particulier à le chasser. Son rire dément était entrecoupé de crachats mêlés de sang et de pourriture, il essayait de parler, certainement pour proférer des menaces à son encontre. Heureusement il n’y parvenait pas, cela l’aurait sûrement fait flancher.
Avec peine il parvint à sortir du bois clairsemé ne réussissant pas a semer pour autant son poursuivant. Il inspecta rapidement le paysage qui l’entourait cherchant des repaires qui l’aideraient à se situer. Il reconnu un petit écriteau enneigé qui indiquait la Passe des Frigères et su ou il était. Non loin se trouvait le Lac Miroir et avec lui une chance d’en réchapper. Le jeune paysan continua sa course effrénée en direction du Lac gelé. L’autre continuait sa marche grotesque, sûr de finir par l’attraper. Lorsqu’il atteint le bord du Lac, Tom s’élança avec toute la puissance que son corps pouvait encore lui fournir. Il glissa sur une bonne quinzaine de mètres, recula encore de quelques pas et s’immobilisa au beau milieu du Lac, debout, le regard plein de défis. Le mort vivant le regardait depuis la rive, hésitant à poser son pied à demi décharné sur la glace.
Tom rassembla ce qui lui restait de courage et s’adressa empreint d’assurance à son adversaire :
- « Que t’arrive-t-il ? Est-ce la glace qui t’effraie mon ami ? Est-ce cela qui t’empêche de me rejoindre séant ? Allons bon ! Que voilà un Grand-veneur plein d’audace et de courage ! Tu souhaites te repaitre de ma chair mais n’ose faire un pas sur le lac gelé ? »
Le discours de Tom porta ses fruits puisque son poursuivant posait déjà un premier pied en sa direction, riant comme un enfant de quatre ans. A près trois chutes il réalisa que la méthode de Tom était meilleure puisqu’il rebroussa chemin vers la rive, recula encore de quatre pas et s’élança maladroitement à son tour.
L’idée du jeune paysan fonctionna à merveille puisque son assaillant se ruait maintenant sans autre trajectoire que Tom lui-même et surtout sans évaluer la puissance de la glissade. Le rire enfantin reprit de plus belle à mesure qu’il s’approchait de sa cible, et lorsque Tom esquiva sans mal son assaillant, celui-ci poussa un cri de surprise en sentant la glace céder sous ses pieds un bon mètre plus loin. Il se débattait maintenant au beau milieu du large trou d’eau et poussait une plainte déchirante, les bras tendus en direction de Tom. Celui-ci eut presque pitié l’espace d’un instant, mais les multiples douleurs que ressentaient son corps et son âme lui rappelèrent qu’il en était mieux ainsi. Tom empoigna fermement son arc et décocha plusieurs flèches qui tranchèrent la tête de la chose et ainsi l’achevèrent.
Une vision d’Edoras face à cette bête enragée s’imposa à lui. Réalisant que sa jeune épouse pouvait être confrontée à la même situation, Tom rebroussa chemin en direction de la petite chaumière. Deux heures ! Il était à deux heures de route de sa femme, comment diable avait il pu être aussi négligent ? Le loup aurait du le mettre bien plus en alerte ! Il se maudissait de l’avoir laissée endormie à la merci du premier venu, sans autre défense que la hache se trouvant dans l’écurie.
Il ne croisa pas âme qui vive, ni même vivant sans âme sur le chemin du retour.
Son cœur battait à tout rompre lorsqu’il aperçu la chaumière se dessiner au loin. Tout avait l’air calme. Le temps lui parut comme suspendu. Tom couru comme si le malin était à ses trousses. Eperdu, son regard cherchait la moindre trace de combat, la moindre goutte de sang entachant la neige devant la maisonnette.
Rien. Rien que la neige immaculée, le bruit mat de ses pas creusant le sol et celui des rafales de vent. Il se laissa envahir par l’espoir. Il entra en trombe dans la chaumière aussi calme qu’il l’avait laissée en partant et appela Edoras. Aucun signe de réponse ne se fit entendre. Il appela plus fort encore. La panique l’envahi de nouveau. Il fit quatre pas en avant, le bras tendu vers la tenture donnant accès à leur couche lorsqu’il reçu un violent coup à l’arrière du crâne. Sa vue se troubla et il s’écroula de tout son poids sombrant vers le néant.
Lorsque Tom revint à lui une multitude de douleurs vives l’assaillirent. Sa nuque le faisait terriblement souffrir ainsi que sa cuisse, son poignet, son pied, son dos… Il ne parvint pas à recenser tous ses maux. Accablé il essayait d’ouvrir les yeux mais du sang les avait scellés en séchant. Son corps avait été trainé puis solidement ligoté à la charpente de l’écurie, il reconnaissait au touché le sapin qu’il avait lui-même taillé et travaillé.
C’est lorsque Edoras entreprit de lui briser le genou dans l’intention de le déloger de son corps que Tom ouvrit les yeux sous le coup de la douleur. Elle assénait de violents coups de bûches et ignorant complètement les hurlements rauques, comme devenue sourde, elle tira jusqu'à ce que le membre cède. La panique qu’il ressentait ne permis pas à Tom de retomber dans l’inconscience. Les yeux exorbités sous l’effet de la souffrance, il ne parvenait à respirer que par hoquets irréguliers.
Il constata que Pomme gisait à ses côtés le crâne largement ouvert, il était trop abasourdi pour laisser place à la tristesse. Son cadavre était pourtant en charpie. Edoras s’employait à arracher à pleines dents la chair soudée au tibia. Son visage et ses longues boucles blondes étaient maculés par le sang de Tom qui se mêlait à celui déjà sec de la vieille jument. Elle l’avait dévorée comme elle allait le dévorer maintenant. Et elle prendrait tout son temps. Tout en mastiquant la chair de son époux le regard plein de malice, Edoras riait comme une enfant polissonne qui vient d’accomplir un mauvais tour. Avec un peu de chance Tom se viderait lentement de son sang par ses membres avant qu’elle ne lui défonce le crâne et qu’il devienne une de ces choses. |
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