Discussion: Marche funèbre
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Vieux 18/11/2008, 19h45
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Sardou & les tapas member
 
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Steuf ! change la caisse du Fauve
Prologue

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Citation:
« - Allez le chien, on rentre ! »

Le soleil commençait à baisser quand Jehan la jambe décida de s’en retourner chez lui. La journée avait été bonne et les collets tous garnis. En temps de neige, le gibier affamé se laissait prendre plus facilement et comme il était seul à avoir le droit de poser des pièges à quatre lieues à la ronde, les hivers n’étaient jamais une période difficile pour lui et les siens. Il savait très bien que par rapport aux serfs qui habitaient près de chez lui, il était chanceux, mais n’avait-il pas payé ce privilège d’un grand prix ? Pendant dix années il avait été un soldat dans les armées du Duc, un excellent soldat même. Le Duc, par ailleurs qui était un homme bon, l’avait reconnu lorsque Jehan avait perdu sa jambe en campagne. C’est pour cela qu’il lui avait offert un peu de terre pour passer ses vieux jours. Depuis, il coulait des jours heureux avec sa femme et sa plus jeune fille. Il avait poussé son fils à embrasser la carrière militaire et celui-ci leur versait une belle rente qui leur permettait de vivre sans soucis matériel.

Comme toujours le chien allait et venait sur le chemin du retour, comme s’il se moquait du pas claudicant de son maître. Cela amusait toujours Jehan de voir la bête stopper sa course devant lui, se pencher en avant les yeux pleins de malice et de défi, et repartir à toute allure vers leur destination. Le chien devait bien courir le double de la distance du trajet tous les jours, mais il était jeune et Jehan savait bien que ce tempérament ne durait pas, même chez les animaux.

La nuit était presque tombée lorsqu’il arriva près de sa maison. Il savait déjà que son Agathe le réprimanderait et lui dirait qu’il aurait dû partir plus tôt. Il la regarderai en souriant, lui baiserait le front, et elle se contenterait de réprimer un rire en bougonnant.

Quand il se trouva à une trentaine de pas de l’entrée, Le chien stoppa net. Un homme se trouvait à côté du tas de bois. L’animal hérissa le poil, se mit à grogner, et tenta prudemment une approche. Lorsqu’il eut fait deux pas, il huma l’air et tout stigmate de combat disparut. Sa queue se logea entre ses jambes, ses oreilles s’aplatirent, et une psalmodie de petits gémissements commença à se faire entendre. Le chien s’éloigna ne sachant comment éviter de tourner le dos à la silhouette qui se balançait légèrement au rythme du vent. Dès que le cabot fut à distance raisonnable de l’inconnu, il détalla et Jehan le vit s’éloigner vers les bois.

« - Le bonjour, l’ami, vous cherchez quelque chose ? »

Jehan s’approcha pour distinguer le personnage. La première chose qu’il remarqua fût une odeur pestilentielle. Souvent des mendiants qui venaient demander l’aumône ou le gîte chez lui empestaient, mais jamais il n’avait été confronté à une telle puanteur. Il ne sentait pas simplement la crasse mais une odeur de pourriture, comme une pièce de viande gâtée. L’homme portait des guenilles déchirées couvertes de plaques de boue séchées, était entouré d’une nuée de mouches et semblait atteint d’une grave maladie. Son visage était d’un gris qui ressemblait à une robe de cordelier et était couvert de coupures purulentes. Jehan eût un haut le cœur en voyant ce tas de chair rance mais réussit à se reprendre.

« - Ca ne va pas ? Je peux vous aider ? »

L’homme tourna la tête vers Jehan et fixa son regard vide sur lui. Des balbutiements incompréhensibles sortirent de sa mâchoire qui pendait, et le sang de Jehan se glaça.

La chose se mit à avancer lentement vers lui. Elle tendait ses bras comme pour l’embrasser. Le vieil homme tenta de reculer mais sa jambe de bois lui joua un mauvais tour. Il bascula en arrière et sa tête vint cogner un rondin de bois qui traînait par là. Paniqué et sonné, il ne put rien faire qu’agripper le cou du monstre lorsqu’il s’effondra sur lui.

Sa première intention fut de hurler en espérant que quelqu’un dans les alentours lui vienne en aide, mais c’était hors de question. Si Agathe était alertée, elle sortirait de la chaumière et cette infâme créature risquait de changer de cible. Il devait trouver un moyen de se tirer de ce guêpier seul. Il n’était plus le jeune combattant qu’il avait été contre les saxons, mais, même avec une seule jambe, il pouvait venir à bout de cette horreur décharnée ! Son agresseur lui empoignait la tête et tentait de l’attirer vers lui. Jehan lui résistait sans trop de mal mais la chose lui bavait abondamment sur le visage. Le contact de cette matière visqueuse et son goût âcre l’empêchait de se concentrer. Soudain il réussit à projeter d’un coup de pied son assaillant en arrière. Celui-ci tenta grotesquement de garder son équilibre mais tomba sur les fesses comme un jeune enfant mal assuré. Jehan réussit non sans difficultés à se relever à l’aide du rondin de bois, et lorsqu’il fut enfin debout utilisa celui-ci pour frapper violemment le visage de la créature. Sa tête explosa comme un fruit trop mûr et des gerbes de sang noir tachèrent la neige environnante.

Jehan, épuisé par cette rixe sentit sa jambe valide flancher. Il se retrouva par terre et vomit d’un râle rauque entrecoupé de gémissement de terreur. Qu’avait-il fait au bon Dieu pour vivre cela ? Toute sa vie il avait combattu pour la grandeur du Duché, il avait été un bon mari, un bon père… Pourquoi devait-il subir aujourd’hui une épreuve comme celle-ci ? Il réussit tout de même à reprendre ses esprits et se releva péniblement. Il observa le cadavre face à lui et décida de le cacher. Si Agathe ou sa fille voyait cela, elles ne pourraient plus vivre tranquillement dans cette maison. Il empoigna les pieds de la créature et l’emmena laborieusement à une centaine de pas de son foyer, à l’orée du bois.

Essoufflé, il se traîna ensuite vers le puit. Il devait se laver avant de rentrer dans la chaumière, et la nuit venue, il ressortirait pour enterrer cette immondice. Il n’en parlerait à personne, il le savait. Sa vie devait redevenir comme elle l’était avant, et il ne voyait pas comment expliquer sa mésaventure aux autorités sans passer pour fou ou pire. Quand sa toilette fut terminée, Jehan se décida à rentrer dans son foyer.

Lorsque il poussa la porte, Ce qu’il vit finit de lui éprouver les nerfs. Deux autres de ces choses étaient en train de dévorer sa femme et sa fille. Agathe gisait par terre, ventre ouvert tandis que l’un des monstres tirait vers sa bouche un boyau. L’autre tenait la petite dans ses bras comme un jouet et dévorait tout ce qui pouvait sortir de son crâne fendu. Jehan fut pris de vertige et sentit un goût de métal dans sa bouche. Il était terrorisé et ne sentit pas qu’il urinait dans ses chausses. Il se décida enfin à s’enfuir.

La nuit était tombée. Jehan couru trois bonnes heures jusqu’aux portes du château du Seigneur Philippe l’adroit. Lorsqu’il arriva devant les gardes, il s’écroula à leurs pieds et pleura.
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