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Vieux 27/05/2011, 11h56
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Ben Wawe Ben Wawe est déconnecté
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Pour m'entraîner pour le recueil de Buzz sur la fantasy (s'il tient toujours), je me suis forcé à rédiger une petite nouvelle pour tester des personnages. Je continuerai d'ailleurs dans les jours à venir, mais voici ma première tentative dans l'heroic fantasy.

Le Solitaire

Ses doigts gantés s’accrochent à la glace, s’enfoncent dans la matière gelée avec la force de l’habitude. Un souffle rauque accompagne l’effort de porter l’autre main dans le flanc de la montagne enneigée, ses muscles poussant pour faire monter un peu plus son corps recouvert de ses encombrants vêtements chauds. Un pantalon en peau de bête, une cote de maille, un long manteau en peau d’ours, des gants remontant jusqu’à une chemise sombre ne sont pas faits pour l’escalade. Transporter un immense sac marron et une immense épée non plus.

Lentement, cependant, il avance, gravissant un à un les centimètres le séparant du rebord, qui le nargue depuis des heures. Il lutte contre le froid, contre le manque d’oxygène, contre la neige et le vent gelés qui le frappent régulièrement, comme des coups de couteau répétés.
A nouveau, son souffle devient rauque et irrégulier alors qu’il en appelle à ses dernières forces, celles-là mêmes qui lui ont sauvé la vie des dizaines de fois. Il ne calcule plus les moments où, acculé, il a su survivre grâce à une énergie nouvelle, son corps quasiment vaincu transcendé par le refus de la défaite. Il était connu, respecté, admiré pour cette capacité à survivre à tout. Sa gloire était grande, jadis, elle éblouissait les Royaumes Perdus et l’Eisnlor..

Finalement, un dernier grognement accompagne ses bras se posant sur le rebord de la montagne dont le sommet dépasse les nuages. Quelques secondes pour expirer et voilà qu’il se force à remonter tout son corps, sollicitant ses muscles usés pour se hisser piteusement sur le plateau.
Ses cicatrices le brûlent, ses vieilles blessures le font souffrir comme rarement. L’effort n’est guère impressionnant, il a déjà fait bien plus… dans sa jeunesse.

Son âge ne se fait jamais plus présent que lorsqu’il fait trahir son propre corps. Il serre les dents, autant de rage que de douleur.

Il a mal. Il respire comme un vieillard, allongé sur une neige gelée et fourbe. Aucun brin d’herbe, aucune trace de vie ne se trouve sur ce pan horizontal de montagne, simple étape de l’escalade permettant de rejoindre le Pic de Shoggoth, d’où naguère les dragons originels se sont envolés pour la dernière fois avant de mener les Royaumes à leur perte, selon la légende.
Rares sont ceux qui ont pu y accéder, du fait d’une montée jugée « impossible » par les habitués de la montagne. Encore plus rares sont ceux qui en sont revenus. Aucun n’en a produit de description cohérente.

Il n’est pas là par curiosité ; il a besoin de voir le nid des monstres pour mieux les comprendre. Pour mieux les trouver. Pour mieux les chasser.

Ses paupières fatiguées et recouvertes de glace se rouvrent difficilement. Un cri l’empêche de se reposer, et le sauve alors d’une mort douce mais insupportable pour le guerrier qu’il est ; il n’a pas survécu au siège de Braglady pour mourir comme un gueux dans la neige et la glace.
Il tourne sa vieille carcasse sur le côté, son bras sentant la glace craquer sous son poids. Ce n’est pas la curiosité qui dicte son comportement, mais le refus du danger.

Devant lui apparaît le paysage du petit plateau.
La montagne est proche de lui, à quelques mètres, glacée évidemment. Le flanc qui s’offre à ses yeux en face est entièrement vertical, sans prise possible, sans espoir de montée. Sur le sol, comme partout, tout est blanc et cassant : nulle trace de verdure, nulle trace de nature vivante par ici. Le plateau est minuscule, quelques mètres carrés tout au plus, et il semble impossible d’accès, tout du moins pour ceux qui ne veulent pas escalader.
Il ne comprend donc pas la présence de trois êtres vivants devant lui.

Un enfant, emmitouflé dans une longue cape en peau d’animal, recouvert de vêtements chauds de la tête aux pieds, collés contre la paroi glacée. Un homme sombre, habillé chaudement pour l’action, qui est à genoux devant une femme. Le bas de sa robe est arraché. Il a déposé une courte épée et un sac de voyage à ses côtés.
Il essaye d’abuser d’elle.

C’est elle qui vient de crier. L’enfant reste immobile, terrorisé. L’homme s’acharne, la frappe et parvient à maintenir ses deux poignets au sol avec une seule main. De l’autre, l’homme frappe encore son visage avec violence et force sa présence entre les cuisses. L’homme dégrafe sa ceinture et fait glisser son pantalon.

Ses cris s’intensifient.
Il ne bouge pas, assiste à la scène comme spectateur. L’enfant a les yeux rivés sur la scène et ne doit pas avoir plus de huit ans. Elle doit être sa mère ou sa nourrice, et vu la façon dont elle le regarde, elle regrette plus qu’il assiste à son abus qu’au geste en lui-même. Rares sont, de toute façon, les femmes de son âge qui n’ont pas subi les assauts honteux des mâles depuis la chute des Royaumes.
Il continue d’observer, son visage rongé par une courte barbe blanche et par la glace ne reflétant aucune émotion. Ses cheveux, qui descendent le long de ses reins, fouettent le sol à cause du vent. Aucun bruit, hors les grognements de l’homme et les cris de la femme, ne vient troubler la lente complainte du vent.

Cependant, alors que l’homme allait forcer la femme, l’enfant le surprend : aussi vif que peuvent l’être les gamins de son jeune âge, il s’empare de la courte épée. L’homme comprend immédiatement que la situation vient de changer diamétralement, se relève et essaye de lui parler. Ses paroles sont recouvertes par le vent, mais il est clair que son discours ne fonctionne pas : l’enfant le menace encore.
L’homme continue de parlementer, son intimité dénudée encore triomphante subissant maintenant les affres du froid. Il recule, les bras en avant, essayant de calmer le garçon en pleurs qui tient une épée plus solidement que l’on aurait pu l’imaginer. Si son visage est celui de la douleur et de l’incompréhension, sa poigne n’offre aucun doute sur sa détermination ; il veut le tuer.
La femme essaye de se relever mais glisse sur la glace, pathétiquement. Elle ne pourra rien faire dans la scène qui se joue devant elle. Elle n’est plus que spectatrice d’une pièce qui change de registre.

Il bouge enfin, se relevant avec prudence et douceur, sans se presser. L’homme parle toujours, parlemente – sans succès, l’enfant le faisant reculer et approcher dangereusement du rebord. L’homme ne s’en rend pas compte, son attention toute entière concentrée sur le garçon. Ses larmes gèlent sur ses joues mais l’enfant semble ne rien sentir.

Il est debout et marche lentement vers les deux êtres.
Il connaît la montagne, la glace, il sait combien elles peuvent être traîtresses. Ses bottes chaudes glissent sur des trous irréguliers sur le sol, des pièges plus ou moins dangereux pour les marcheurs inexpérimentés. Au-dessus d’eux, un bruit de tonnerre indique qu’un pan de glace s’est détaché près d’ici, certainement à quelques mètres. Il va rouler pour frapper le monde des hommes, des heures plus tard. Quand il parviendra sur la terre plus chaude et habitée, son absence aura déjà été remplacée par la neige et l’humidité gelée.

Il arrive aux côtés de l’homme et de l’enfant. Le premier le regarde et essaye de discuter, mais il ne l’écoute pas ; il fixe le garçon, qui continue de ne regarder que l’homme. Il reste immobile quelques secondes, réfléchissant lentement à ce qu’il doit faire.

Le vent fouette son visage et son corps lourd, usé. Ses bras ne sont plus ce qu’ils étaient. Sa grandeur est passée. Son héroïsme ne lui a mené qu’à la douleur et à l’abandon.
Sa solitude le pèse.

Le garçon pleure et tient pourtant fermement son arme. L’homme parlemente comme un condamné à mort, son intimité déjà recouverte de neige et bientôt de glace. La femme est assise, rhabillée à la hâte, passive.

Doucement, il pose ses mains gantées sur les doigts minuscules de l’enfant. Celui-ci le regarde pour la première fois, et sursaute comme s’il venait seulement de découvrir sa présence. Il ne sourit pas, son visage ne bouge pas. Après quelques instants, le garçon libère l’arme ; l’homme continue de parler, sans être entendu.

Il tient la petite épée avec sa seule main gauche. Sans un regard, il bouge son poignet pour imprimer un arc-de-cercle souple au mouvement de l’arme. Il n’agit qu’en dix secondes. Vingt secondes après, un paquet chaud et sanguinolent de chair tombe sur la neige glacée. Une minute après, l’homme se met à crier et s’écroule.
Trop tard : il s’est déjà retourné pour glisser lentement vers la femme. L’enfant le suit, presque mécaniquement : lui non plus n’a pas regardé l’homme et ne le fixe même plus.

En quelques instants, il arrive devant elle et lui donne la petite épée. D’un signe de la main, il intime l’ordre à l’enfant de prendre le sac abandonné par l’homme.

« Je… messire, je ne saurais vous remercier de… il… je l’avais payée pour qu’il nous emmène vers Hatecraft, où… où ma sœur… mais… le dragon… il s’est abîmé sur le Pic… nous… nous avons glissés jusqu’ici, et là… là… »

Il ne l’écoute pas. Il ne la regarde plus. Il fixe la montagne, le flanc auquel il n’avait pas fait attention jusque-là. Leur descente a dû se faire par là, l’escalade sera plus aisée.
Sans rien dire, il dépose son sac au sol et en sort quelques bouts de bois sec qu’il dépose près de l’angle entre les deux flancs de la montagne.
Il allume un feu alors que l’enfant et la femme se rapprochent. Sans rien dire, il s’assoit et les entend faire de même, ses yeux toujours fixés sur les flammes naissantes. Implicitement, il les accepte.

A quelques mètres, l’homme est allongé, une mare rouge épaisse entourant son corps qui se refroidit lentement ; il n’a plus la force de parler.
La glace reflète les silhouettes de l’enfant et de la femme, dos à lui, se tenant prudemment l’un contre l’autre, n’osant regarder l’inconnu. L’homme les fixe, immobile, abandonné à une mort certaine. Lentement, le liquide rouge sombre coule vers ces silhouettes. Lentement, le sang s’approche de l’enfant et de la femme – comme si s’il annonçait déjà leur sinistre destinée aux côtés du Solitaire.
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