Libé a effacé la page (?) mais en allant dans mon cache, j'ai retrouvé l'article
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Contre-pied
Italie : nous nous sommes tant détestés
La Squadra traîne une sale réputation (souvent) démentie par les faits. Démontage de mythes.
Par Chérif GHEMOUR, Stéphane REGY
QUOTIDIEN : Mardi 4 juillet 2006 - 06:00
C'est une curiosité sans cesse répétée. A chaque compétition, l'Italie est la seule équipe qui doit affronter deux adversaires lorsqu'elle entre sur un terrain : l'équipe d'en face et le reste du monde. Cette année en Allemagne, le parcours impeccable de la Squadra Azzurra est encore montré du doigt, dénigré, hué. «C'est le football de l'âge des cavernes»,pour la presse espagnole. «Des parasites»,pour le Spiegelallemand, qui ne laisse jamais passer une occasion de placer le mot «mafia» dans ses résumés des matchs transalpins. Mais que reproche-t-on à l'Italie, au juste ? Essentiellement des broutilles erronées. Point par point, décryptage d'une injustice aussi vieille que le calcio.
Défensive ?
Ah, ça, ce ne sont pas les griefs qui manquent : quadrillage, années de plomb, catenaccio,verrou... Les expressions pullulent pour décrire la tactique italienne, censément frileuse. A une époque où la France de Zidane serre la vis, où le Brésil joue en contre et où l'Argentine sort ses attaquants dès qu'elle mène au score, ce reproche laisse rêveur. Surtout, c'est oublier que l'Italie est le pays de la révolution offensive de Sacchi, du trident de Lippi, des prouesses de Baggio ou Mazzola. C'est oublier aussi le 6-2 passé à la France pour son premier match officiel le 15 mai 1910, à Milan. Ou les titres de meilleur buteur de la Coupe du Monde attribués à Rossi en 1982 et à Schillaci en 1990. Ou que, cette année, le milieu de terrain de la Nazionalene compte qu'un élément véritablement défensif, Gattuso. Et puis ce Helenio «catenaccio»Herrera dont tout le monde parle, qui était-il vraiment ? Dans le mille : un Argentin qui fit sa carrière de joueur et ses premiers pas d'entraîneur en France, où il découvrit la tactique du verrou. Rien à voir avec l'Italie, donc.
Chanceuse ?
Sans doute le mythe le plus injuste du football mondial. Oui, certes, en 1968, en demi-finale de l'Euro qu'elle joue à domicile, le match nul (1-1) face à l'URSS conduit au tirage au sort. L'Italie gagne, va en finale et l'emporte contre la Yougoslavie... Mais, à part ça, ces dernières décennies n'ont été que poisse pour les Azzuri.Elimination aux tirs au but lors des Coupes du monde 1990, 1994 et 1998 ; défaites au but en or en finale de l'Euro 2000 et lors du Mondial 2002 ; élimination à la différence de but lors de l'Euro 2004. En plus, l'Italie se retrouve régulièrement sur le chemin de l'organisateur de la compétition : Chili 1962, Argentine 1978, France 1998, Corée 2002, Belgique 2000, Allemagne 2006. C'est bien la peine de dépenser une fortune en cierges.
Fasciste ?
Trois Coupes du monde au palmarès, dont deux suspectes : 1934 et 1938. Pourtant Mussolini n'était pas le coach, c'était Vittorio Pozzo, le génial entraîneur d'une équipe quasi invaincue dans les années 30. Et puis quoi ? Le grand Brésil vainqueur du Mundial 1970 mexicain a fait honneur à la dictature militaire du général Medici, et le boucher-général Videla a sûrement arrangé un Argentine-Pérou (6-0) au profit de la bande à Pasarella, championne du monde en 1978...
Briseuse de rêves ?
Championne du réalisme * au pays on dit cynisme *, l'Italie cruelle serait une grande dézingueuse du foot romantique. Exemples : la Wunderteamautrichienne de Sindelar tapée en 1934, le Brésil des Zico-Socrates-Falcao assassiné par Paolo Rossi en 1982, le Nigeria 1994 estoqué par Baggio à Boston. Bon, peut-être. Mais pendant ce temps-là, le vrai coupable allemand promène sa «serial killeuse» Mannschaft aux quatre coins du globe en toute impunité : l'Argentine 2006, la République tchèque 1996, la France 1982 puis 1986, la Hollande 1974, la Hongrie 1954 pourraient en témoigner.
Violente ?
And the winner is...Van Bommel ! Il y a belle lurette que les Italiens ont refilé le hachoir aux Oranjemécaniques. OK, Gentile a désossé Maradona au Mundial espagnol de 1982, mais c'était du bizutage nietzschéen : ce qui ne tue pas te rend plus fort. Résultat : Diego est champion du monde en 1986. 2006 : carton rouge pour De Rossi qui joue des coudes sur McBride (Etats-Unis) et pour Materazzi qui coupe Bresciano (Australie). C'est que l'Italie teste régulièrement ses aptitudes à jouer à 10 contre 11, méthode brevetée à l'Euro 2000 contre la Hollande (qualification aux tirs aux buts après expulsion de Zambrotta à la 31e).
Favorisée par l'arbitre ?
Penalty de Totti contre l'Australie à la 93e minute de son huitième de finale lundi dernier. Au ralenti, la faute sur Grosso est peu évidente... Primo, dans le calcioon marque toujours beaucoup de buts entre la 93e et la 97e minute. Les Italiens poursuivent donc leur championnat en Coupe du monde, preuve qu'ils ont une véritable identité de jeu. Deuzio, les Italiens vivent à vitesse réelle : ils roulent vite, parlent vite et jouent vite. Le ralenti, ils ne connaissent pas. Et puis tous les arbitres rêvent de Ferrari, Venise et Gucci.
Ennuyeuse ?
L'Italie n'est pas spectaculaire... Et pourtant : Italie-RFA 1970 (4-3, lire ci-contre), Italie-Brésil 1982 (3-1), France-Italie 2000 (2-1). La Squadra a accroché plusieurs toiles de maître à la galerie des légendes. Italie-RFA 1982 fut par exemple l'une des plus belles finales de l'histoire de la Coupe du monde. Enfin, les vrais connaisseurs savent que le France-Italie 1998 (0-0) reste un sommet d'art tactique partagé... Alors oui, un match de l'Italie est long. Mais plus c'est long, plus c'est bon. «Mes héros savent qu'ils vont mourir à la fin, donc ils prennent tout leur temps»,expliquait Sergio Leone quand on lui demandait pourquoi ses films duraient trois heures.
Gestionnaire ?
Si l'Italie mène dans le match, éteignez votre télé, la partie est déjà finie. Ce théorème footballistique, fondé sur deux ou trois coïncidences, est historiquement erroné. La France le sait bien, qui a remonté un but à la Squadra à la dernière minute d'une finale de l'Euro 2000, pourtant dominée de la tête et des épaules par les Transalpins. Mais, en vérité, tous les pays en profitent : il y a quatre ans en Corée, l'Italie est sortie de la compétition en encaissant un but en or de Ahn ; en 2004, lors de l'Euro portugais, alors qu'ils doivent gagner pour se qualifier, les Azzurrise font remonter par la Suède à la 84e minute. Et puis, il suffit de repenser aux grandes heures de la lire et de ses dévaluations répétées pour savoir que l'Italie n'est pas vraiment un pays de comptables.
Malhonnête ?
Ils plongent dans la surface, se tordent de douleur à chaque contact, piquent le portefeuille de l'adversaire dès que l'arbitre a le dos tourné. Et en plus, ce sont de grands acteurs : gain de temps, contestations sans fin avec encerclement de l'arbitre... Pourquoi eux ? Commedia dell'arte, Goldoni, Fellini, Monicelli... Aujourd'hui, Cantona fait du cinéma. Et Thierry Henry fait semblant de se prendre Puyol dans le buffet : on dit alors qu'il «a du métier»... Il faut se rendre à l'évidence : les Italiens étaient en avance, c'est tout.
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