[gillesC]

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La vieille, puis la Nouvelle-Angleterre

...et l'âge d'argent des comics!

On l'a vu, le royaume anglais était donc, avec la Hollande, le Danemark et une portion de la Bretagne, la dernière survivance européenne du Système Primordial Humain.
On peut même parler d'une certaine forme de "radicalisation" de la Famille Nucléaire Absolue dans la petite paysannerie (1), après le Moyen-âge, peut-être en réaction contre la Primogéniture de la Royauté (primogéniture qui n'est cependant jamais allé jusqu'à une famille-Souche constituée).

En passant de l'autre coté de l'Atlantique, cet "absolutisme" de la famille nucléaire anglaise se heurta à un mur. En effet, on pourrait imaginer qu'avec les immenses espaces à coloniser, la capacité à aller plus loin fonder une nouvelle famille sur de nouvelles terres s'en trouverait d'autant augmentée.
Mais ce serait oublier que les Colons vivaient dans de petites communautés, îlots de survie dans un monde franchement hostile - et avec de bonnes raisons de l'être. (2) Leur but fut d'abord l'auto-conservation, bien avant la conquête.

La Famille Nucléaire Absolue des puritains anglais dut donc accepter des inflexions, la rendant plus souple et indifférenciée : le nombre de maisons retrouvées dans les archives ne correspond pas aux nombre de familles. Un certain regain de cohabitation temporaire entre générations, voire de logements accueillant des fratries, dut voir le jour - on sait entre autres que les Fils devaient loger leurs mères lorsqu'elle devenaient (souvent) veuves.
Les Filles étaient exclues de l'héritage (on n'est pas dans la France nucléaire-égalitaire de la même époque! (3), mais les Fils les mieux lotis devaient garder, en cas d'héritage asymétrique, une certaine obligation morale envers les autres enfants.

Les colons protestants avaient emporté avec eux leur Bible, et le protestantisme étant tout autant (voire plus) une religion du Père que du Fils, ils pouvaient s'identifier au peuple Hébreu encore plus que les Calvinistes européens : dans tous leurs actes, ils s'efforçaient de reproduire l'antique histoire de la colonisation d'Israel (4). Les prénoms donnés aux nouveau-nés du Nouveau Monde sont édifiants : on y trouve pléthore de Benjamin, Jacob, Salomon, Ezra, Sarah, Rachel, Esther, Rebecca....
On peut même penser que la Famille Souche Fantasmée de l'Ancien Testament a pu jouer un vrai rôle dans la dissolution partielle de la Famille Nucléaire Absolue anglaise.


Retour à la Nucléarité Pure : la 4ème génération ( 1750 )
Grâce aux travaux de Philip Greven et de Mary Ryan, on peut dater la ré-émergence affirmée de la F.N. Absolue au milieu du 18ème siècle.
Sans surprise, la mobilité géographique des enfants augmente, sans atteindre au début celle de l'Angleterre du siècle précédent.
Puis, au milieu du 19ème siècle s'installe progressivement l'égalité à l'héritage des filles et des garçons, en même temps que chutent les alliances économiques de Famille.
Il serait vain de nier le lien puissant qui associe ces changements nets, à la migration vers la Nouvelle Frontière de l'Ouest américain.

On dirait le Sud...

Dans les états méridionaux, comme pendant l'Empire romain, l'esclavage va renforcer la nucléarité familiale des riches propriétaires.
On a donc peu de différences nord-sud à ce sujet, si ce n'est une tolérance accrue envers l'endogamie, allant jusqu'à culminer à 10% en Caroline du Nord à la veille de la Guerre de sécession - du jamais vu dans le monde chrétien moderne! Inutile de dire que cette particularité sudiste s'épuisera ensuite assez vite...

Pour les malheureux esclaves, l'organisation d'une vie sociale cohérente fut évidemment plus que problématique.
Venus en majorité, mais pas seulement, de la cote Ouest de l'Afrique, ils appartenaient à des systèmes familiaux très variés, fortement patrilinéaires à l'intérieur des terres, beaucoup plus égalitaire près des cotes. Les propriétaires esclavagistes, pour limiter tout risque de rébellion, mélangèrent volontairement les différents peuples, brisèrent les groupes familiaux, aboutissant à une perte totale d'histoire familiale pour les noirs américains. La survie de faibles traits patrilinéaire n'eut lieu qu'en Haïti, et dans quelques autres petites zones des Antilles.
On peut donc dire que " la destruction de la famille noire fut d'abord celle du rôle masculin et paternel, ce dont la génétique garde une trace. Les propriétaires de plantation ne se sont pas gênés, par le viol ou la séduction dominante, pour avoir des relations sexuelles avec des femmes noires; les analyses montrant une composante européenne masculine de 19% et féminine de seulement 5% dans la population noire américaine actuelle."
Pour expliquer ce dernier chiffre, au fond très élevé dans un système de domination ethnique totale, il faut connaître une chose : l'existence des Indentured Servants. Ces pauvres, nouveaux migrants en Amérique, payaient leur frais de voyage vers les Etats-Unis en devenant de quasi-esclaves temporaires, durant une durée de servage allant en moyenne de 5 à 7 ans. Les femmes soumises à ce régime semi-forcé avaient évidemment une immense capacité, par rapport aux autres femmes blanches, à cohabiter intimement avec les esclaves.


L'effet modéré de l'immigration européenne :

Les 19ème et début du 20ème siècles ont vu une arrivée massive de colons du nord de l'Europe : Allemands, Suédois, Norvégiens et Ecossais, dont beaucoup amenaient avec eux les règles de la Famille Souche. Les Irlandais et Juifs, eux, venaient avec leur Famille Nucléaire "souple", et les Italiens du Sud avec le même système familial -ou presque- que les Français.
Dans tous ces groupes, le choc culturel de la migration engendra au début, en réaction, une réaffirmation des solidarités familiales; puis, en 3 ou 4 générations, tout se fondit en un alignement total sur la Famille Nucléaire américaine, qui elle-même se rapprochait de plus en plus du modèle familial Anglais-Absolu.
Le processus d'assimilation, comme l'a montré Geoffrey Gorer, commence par une phase où l'Enfant maîtrise mieux la nouvelle langue que ses parents, ce qui aboutit à un affaiblissement paternel : le fils devient le référent culturel de la Famille.
Comme la Nature a horreur du vide, cette chute du rôle paternel s'accompagne, naturellement, de la montée en puissance maternelle, et des femmes en général, de la Grande soeur jusqu'à l'Institutrice. En étirant à peine le concept, on peut parlant d'une forme de Motherland semi-fantasmé, qui seul peut expliquer la plus ahurissante tentative sociétale jamais vue dans le monde (non-musulman) : la Prohibition de l'alcool !

" C'est alors qu'apparut en Amérique le thème de la Mère juive envahissante, qui n'avait aucun précédent dans les traditions d'Europe centrale. (5)
Il témoigne de la déformation subie par le système familial juif américain, qui fut, comme tous les autres types immigrés, liquidé en en 3 générations."
Ce qui nous rapproche du monde des Comics de super-héros, dont personne ne nierait un instant la naissance au sein de la communauté juive de l'Est américain :

Les années 50 : le triomphe Absolu de la Famille Nucléaire du même nom.

Grâce au New deal (ou plutôt aux deux New Deals) rooseveltien qui, s'il n'est pas d'inspiration keynésienne, y ressemble plus que beaucoup, le triomphe du salariat masculin défie les liens familiaux secondaires qui étaient résiduels dans la société; recréant la communauté villageoise anglaise du 19ème siècle, l'entreprise capitaliste remplaçant la Grande Ferme comme source de rémunérations! (6)
La communauté locale fournissant l'Ecole -plutôt que l'assistance- aux pauvres, la sécurité sociale du New deal assurant un minimum aux personnes âgées, l'état contribua donc au perfectionnement, puis à la domination totale de la Famille Nucléaire Absolue.

[ Un peu de comics, donc?
Dans ce contexte, le succès de Fantastic Four en 1961 est tout à fait stupéfiant.
Parvenir à de telles ventes en réinstaurant un système de parenté étendue - le couple plus le frère (et même l'ami d'enfance si proche qu'il est presque un frère lui aussi), système familial juif très ancien, mais ayant quasiment disparu depuis des décennies aux USA, laisse complètement rêveur.
On peut imaginer, comme seule explication, l'alliance de l'imaginaire de la S-F et du fantastique que constitue le style Super-Héros, avec cet autre imaginaire d'une famille étendue ancienne, et devenue non-existante, donc de l'ordre du fantasme. Une forme de réaction contre l'ultra-individualisme US pourrait donc être à l'oeuvre dans ces titres de "groupes"...]


Mais l'inflexion néolibérale, dès les années 70, va miner assez vite ce caractère total de la F.N.A., par l'obligation économique de se rassembler en familles plus étendues, comme l'a montré une étude de l'an 2000 portant sur les Anglais et Américains ayant passé une partie de leur vie dans un ménage à 3 générations :
Etats-Unis :
Hispaniques : 31%
Asiatiques : 30%
Blancs : 18%
Noirs : 34%
Royaume-Uni :
Noirs : 7%
Blancs : 6%
Ces chiffres montrent par ailleurs sans la moindre ambiguïté que, contrairement à une croyance fort répandue à la fois chez nos Bourgeois et dans les Banlieues françaises, les Etats-Unis, bien plus que n'importe quel pays au Monde, sont bien celui du Racisme. Et ce, quels que soient les partis politiques : les hommes démocrates assurent vouloir une société racialement égalitaire, mais n'épousent que très rarement des femmes noires; tout le contraire de la France - nous y reviendrons.

Bill Clinton, homme politique d'une grande intelligence stratégique, personnifie mieux que quiconque cette dualité Discours-Action : à la veille de la Primaire décisive du New Hampshire en 1992, il s'était envolé vers son état de l'Arkansas pour assister à l'exécution d'un Noir, littéralement un débile profond qui n'aurait jamais du être en prison au départ. Même si son grand trip était de s'afficher jouant du saxo au coté de jazzmen noirs, il aura été le président sous les mandats duquel on a vu la plus forte augmentation de l'incarcération des Noirs !


1) Les plus riches des paysans-propriétaires ayant, comme parfois dans d'autres pays, copié leur Aristocratie en acquérant la Primogéniture; mais là aussi sans formaliser une véritable Famille Souche.
2) Mais contrairement à un demi-mensonge répandu par les Arts depuis le milieu du XXème siècle, il n'y a pas eu à proprement parler de Génocide Indien. Car de nombreux massacres visant à l'appropriation de Terres ne constituent pas ce qu'est un véritable génocide, à savoir l'extermination Totale, à la fois physique et mémorielle, d'un ou plusieurs peuples. On sait désormais que la grande majorité des Amérindiens du Nord sont morts de la variole (importée à leur propre insu par les Espagnols dès la fin du 15ème siècle), sans jamais avoir vu de leurs yeux un européen.
Dans un échange de mauvais procédés, les Espagnols importèrent en retour la syphilis, des Amériques jusqu'en Europe.
3 ) " Le système de la France du nord n'était pas "naturel" : il dérivait de l'égalitarisme sexuel du Bas-Empire romain, formalisé dans le Code Justinien. "
4 ) Cette colonisation du sud du Levant méditerranéen fut, rappelons-le, ordonné au peuple (ou plutôt peuples) juif par le personnage nommé Yahvéh dans l'Ancien Testament, livre dont la lecture en hébreu est assez stupéfiante, par rapport aux traductions faites dans les langues indo-européennes. Ou, pour être plus précis, encore plus stupéfiante.
5) William Novak, Moshe Waldoks.
6) D'un point de vue géographique, la suburbanisation soudaine de l'Amérique des années 50 fut probablement tout autant importante; à tel point que dans une pensée toujours visionnaire, Christopher Lasch y vit également l'acte de naissance du Néo-féminisme américain; celui non pas de la marche vers l'égalité, mais de la course évidente à la supériorité.