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Vieux 07/08/2018, 15h27
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Hawkguy
 
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Arrachée à HBO, cette ultime saison de The Leftovers ne compte que huit épisodes mais Damon Lindelof les a conçus à la fois comme une conclusion digne des deux précédentes et sans doute comme une revanche sur la fin de Lost qui avait tant divisé les fans. Avec Tom Perrotta (et, en majorité, la réalisatrice Mimi Leder), le show a droit à un terme effectivement magnifique qui risque bien de vous tirer des larmes.


Jean Cocteau disait du cinéma, que c'était "la mort au travail", et cette sentence a diversement interprétée, pour n'en retenir le plus souvent que l'affirmation la plus funeste, à savoir qu'il s'agissait d'un enregistrement de la mort à l'oeuvre, de l'impression sur la pellicule du temps passé par les acteurs à vivre la vie de personnages fictifs au lieu de la leur.

Pourtant, cette "mort au travail" garantit à ceux qui s'y abandonnaient une vie éternelle car la pellicule immortalisait les acteurs. Grâce aux histoires captées par la caméra et les personnages qu'ils ont incarnés, les acteurs survivent après leur décès. On garde leur image en mouvement comme s'ils étaient encore de ce monde.

Avec la production des séries télé, cela amplifie ce statut car les acteurs filmés non seulement sont immortalisés sur la pellicule mais on peut les voir littéralement vieillir avec leurs rôles au fil des saisons durant lesquelles ils interprètent leurs personnages. Certains jouent même dans des feuilletons sur plusieurs décennies, et leur jeunesse, leur maturité et leur vieillesse sont enregistrées par la caméra. Parfois même certains meurent carrément avant le terme de la série dans laquelle ils jouent - et le show continue sans eux, tel "un train filant dans la nuit" pour citer François Truffaut cette fois.


Si j'ouvre cette critique par ce crochet, c'est parce que c'est précisément ce que donne à voir, à ressentir, cette troisième et dernière saison de The Leftovers : ce passage enregistré du temps, sa réflexion narrative, son esthétique cruelle et poignante.

Trois saisons, vingt-huit épisodes, on a vu plus long en termes d'investissement, d'engagement pour des acteurs, des showrunners, et l'aventure d'une poignée de personnages. Mais la densité du récit, soulignée par la compression de cette ultime année de production, renforce le sentiment de voir "la mort au travail" ou, plus positivement, la vie imprimée.

Damon Lindelof et Tom Perrotta savaient en rédigeant ces chapitres qu'ils seraient les derniers et qu'ils devraient aboutir à une conclusion digne. Lindelof supportait qui plus est la pression de ne pas répéter ce qu'il avait osé avec Lost, dont le terme avait divisé le public (et continue d'alimenter les débats de fans). On assistera donc à une sorte de tournée d'adieux en bonne et due forme, mais pas forcément à une collection de réponses définitives aux énigmes du show. Il y a des explications, nettes, formulées, exprimées, mais comme The Leftovers est une série bâtie sur la croyance, la foi (ou non) en ce qui est prononcé, le téléspectateur garde la liberté d'adhérer ou non aux explications fournies. Et les auteurs s'amusent jusqu'au bout à brouiller les pistes pour laisser toutes les interprétations possibles.

Le cas le plus frappant concerne le personnage de Laurie (à qui Amy Brenneman donne une sorte de fatalisme tranquille sidérant) : le sixième épisode lui est consacrée, elle en est la vedette. On apprend enfin dans quelles circonstances elle intégra les Guilty Remnant, puis comment elle permet à Nora de pister des scientifiques prétendant qu'ils peuvent réunir les survivants et les disparus du "Grand Départ", et enfin elle fait ses adieux à Kevin sur le point d'exaucer un souhait dangereux émis par des proches. L'épisode se conclut par ce qui ressemble à un suicide (inspirée par une idée de Nora d'ailleurs).

C'est bien entendu saisissant et triste. Jusqu'à ce qu'on découvre dans le huitième épisode, dont l'action se situe vingt ans plus tard, que Nora est restée en contact avec Laurie depuis tout ce temps, poursuivant une longue et étonnante psychothérapie par téléphone entre les Etats-Unis et l'Australie... Laurie n'a donc pas mis fin à ses jours, elle s'occupe désormais de l'enfant de sa fille Jill.

Toute la saison joue ainsi avec ce que le téléspectateur considère comme acquis... Et que Lindelof et Perrotta démentent rarement - la seule exception est la mort de Matt Jamison qui n'a donc pas réussi à vaincre la récidive tardive de son cancer et a eu droit à des funérailles impressionnantes à Jarden, comme le racontera Kevin à Nora bien des années après.

Mais sinon, tout est faux-semblants, illusions, sujets au doute. La chanson censée empêcher le déluge ? Elle n'existe pas. Evie survivante et cachée à Melbourne ? Une hallucination. L'Homme le plus puissant du monde (et son jumeau identique), selon le titre du septième épisode ? Une dernière visite dans un au-delà délirant et absurde, le purgatoire de Kevin.

A l'image du prologue du premier épisode de cette saison (au moins aussi improbable et pourtant synthétique que celui dans la Préhistoire au début de la saison 2), c'est comme si la série déjouait les fins du monde qu'elle annonce ensuite au même titre qu'en 1844 cette femme dévote, croyant à un événement céleste, renonce à l'attendre, lâchée par ses amies, son mari, moquée par les autres habitants, découragée par un pasteur pugnace.

Avant d'en venir à la fin proprement dite, il faut que je répare un oubli des précédentes critiques consacrées à la série en évoquant la musique de The Leftovers. Max Richter a composé un splendide thème au piano qui traverse les trois saisons (accompagnant même, dans une version orchestrée, le générique de la première année). Puis il y a eu la rengaine country à la fois entraînante et mélancolique de la saison 2, mais la bande-son faisait déjà la part belle à des chansons en relation directe avec l'histoire (le Where is my mind ? des Pixies devenant la traduction littérale des tourments de Kevin, et une reprise karaoké de Homeward bound de Simon & Garfunkel résumant son lien avec Nora). La saison 3, où l'équipe créative s'est complètement lâchée puisque de toute façon il n'y avait plus rien à perdre (les gens devant leur poste avaient zappé depuis longtemps, HBO avait annoncé l'annulation du show), attribue une chanson différente au générique de chaque épisode et multiplie les titres musicaux dans chaque chapitre (du rap en passant par du lounge et même Charles Aznavour à deux reprises dans l'épisode 5 !). Cette série ne fait rien comme les autres, mais elle ne le fait jamais gratuitement.

Et nous voilà arrivés au Livre de Nora, titre du dernier épisode de la saison 3. Bien finir donc, voilà le grand challenge imposé à Damon Lindelof. Et quel superbe dénouement. Le monologue, long et renversant, de Carrie Coon/Nora est un morceau de bravoure et un geste de mise en scène insensé : au lieu de nous montrer la terre parallèle où les 2% de la population mondiale ont disparu vingt-sept ans auparavant, tout passe par les mots de l'héroïne. Son récit est fabuleux et improbable, mais, même vieillie par un maquillage à la fois marqué et épatant, l'actrice nous saisit pendant de longues minutes, la caméra ne quittant pas son visage, enregistrant les intonations subtiles de sa voix, ses expressions les plus délicates. Rien que pour ce moment-là, fou, intense, beau, lumineux, poignant, fantastique, Carrie Coon aurait mérité un Emmy.

Face à elle, Justin Theroux traverse la saison de manière tout aussi incroyable, désemparé, implacable, dévasté, amoureux fou, bouleversé. Quel couple il aura formé avec sa partenaire (au moins aussi mémorable - et tout aussi injustement boudé par les récompenses - que le duo Keri Russell-Mathew Rhys dans The Americans).

Il faudrait aussi saluer les prestations extraordinaires de Scott Glenn et Christopher Eccleston. The Leftovers aura réuni une troupe de comédiens de premier ordre, totalement investis.

On mesure aussi la qualité d'une série au fait que ses héros vont nous manquer. En vérité, on peut même affirmer que c'est ce qui compte le plus, s'être attachés comme à de "vrais gens" à des créatures imaginaires dans ses histoires farfelues. C'est dire si cette série est spéciale et qu'elle ne sera pas remplacée.
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