Discussion: Hypocalypse
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Vieux 16/12/2004, 00h16
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gillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le Tireur
Une quasi décennie plus tard, deux des douze pièces inhabitables de Mon Œuvre affichaient avec une fierté forcée pas moins de 276 livres ayant un lien quelconque (et le mot était faible) avec toute forme de vie intelligente non-humaine. Le désormais précurseur et usé Ils sont là, trônant au milieu de la plus belle étagère, avait bel et bien été l’expérience la plus enrichissante de la vie d’Edmonde, et de celle des Editions Mysteria.
La seconde rencontre d’Ed avec l’irrationnel avait donc été l’acquisition de l’effarante demeure Javier-Costa. Sa chambre de bonne étant devenue bien encombrée par la centaine d’ouvrages venus d’ailleurs, le gros phallus de béton planté à flanc de coteau fut vite acquis, puis rempli par les déménageurs (Ed n’avait aucun ami humain sur cette planète.)

En dehors de la paranoïa, Ed cultivait deux choses : les salades et les bouteilles de bière vides.
Les scaroles s’alignaient sur ses 400 mètres carrés de terre humide, en de longues plates-bandes un rien industrielles. Il fallait bien cela, car Ed cueillait un plan par jour, qu’elle mélangeait dans la joie avec quelques tomates pour le repas du soir. L’opinion d’Edmonde à ce sujet était sans équivoque : les produits louches dont on bourrait les animaux d’élevage (ormones, sphéroïdes, abolisants, ce genre, quoi) constituaient bien la partie la plus terrifiante du grand plan de contrôle de l’humanité par les aliens. De plus, il était absolument inhumain de tuer de pauvres êtres vivants pour s’en nourrir (la « pensée » analogique d’Edmonde étant incapable de lui suggérer que les plantes ne faisaient pas partie du règne minéral.)

La vendeuse de fruits et légumes, ne se servait donc qu’à son propre rayon, et dans l’angoisse encore. Par chance, une source venue du haut de la colline séparait son terrain du champ voisin, et on y tirait l’eau dont la pureté chimique semblait donc assurée.
La seule véritable entorse à cette hygiène drastique était la bière. Il suffisait que celle-ci se présente sous la forme de bouteilles de moins d’un demi-litre, et au plus bas prix possible. Achetant des packs aussi volumineux que son frigo, Ed buvait avec une belle systématique deux et seulement deux canettes par jour, après le repas du soir. En un an, elle accumulait donc entre 700 et 730 bouteilles vides, l’oscillation étant due aux jours de vraie maladie ou de fausse exaltation, lorsqu’elle apercevait enfin un ovni à la trajectoire elle aussi bien imbibée. Les plans de canettes vides n’avaient certes pas le bel ordonnancement de leurs collègues chlorophylliens, et cernaient l’habitation tels des haies anti-taupes concentriques. C’était le Mur de l’Atlantique des rongeurs. Seule la porte d’entrée était de par la logique épargnée.
Lorsque l’un des amas de verre fumé s’épaississait jusqu’à menacer les salades les plus proches, Ed se forçait à entasser quelques reliefs dans un cageot, direction le container à verre. Elle aimait peu cet engin, dont les hublots lui rappelaient certains croquis de soucoupes volantes.

Ce soir-là, elle regardait sa quinzième cassette d’X-Tales, qui avait chu le matin même du sac du facteur. Elle était condamnée aux achats par correspondance du fait des conditions de réception hertziennes de Saint-Moulart, bourg joli, mou et pépère lové dans une vallée du Charollais. Cependant, elle avait longtemps hésité à s’adonner au feuilleton d’au-delà des étoiles et d’outre-Atlantique : Ed se méfiait de tout ce qui était trop visiblement américain. Aucune bouteille de breuvage sans cola ni cocaïne ne dépareillait sa collection potagère. En fait, tout cela lui rappelait son père, qui l’avait gavée de westerns durant son enfance. Mais après quelques critiques enthousiastes dans AILLEURS, l’officiel de la vie ailleurs (20 pages, trimestriel, sept euros, mais dos carré et couv couleur), elle avait craqué et commandé les premiers épisodes. Elle en fut confortée dans ses opinions, mais pas bouleversée, elle qui savait.

L’épisode en cours venait d’ailleurs de s’achever, et Edmonde était déçue, car il s’agissait encore de paranormal normal, sans le moindre bout de tentacule d’outre-ozone. Mais elle rendossa vite son caractère mollement heureux, le week-end ne faisant après tout que commencer. Et une belle fin de soirée d’observation studieuse l’attendait. Elle quitta la petite pièce video, confinée jusqu’au minuscule par l‘amoncellement de cassettes disposées n’importe comment, et fit grincer les marches menant à l’Observatoire. Ce lieu consacrait la pièce supérieure de la bâtisse, où trônait le Télescope, qui était en fait une lunette achetée par correspondance. Dans ce réduit à l’intimité lourde, presque austérienne (sic), Edmonde, coincée entre du matériel astronomique mal utilisé et des posters imbéciles tirées de revues qui ne l’étaient pas moins, Edmonde, donc, ne faisait quasiment rien et était persuadée de l’importance de sa mission. Elle n’écrivait pas, en tout cas rien d’autre que des rapports d’observation presque toujours vierges. Elle consignait ses non-observations sans but réel, mais avec conscience. Par chance, des traces de lucidité l’accompagnaient lorsqu’elle collait ses paupières sur l’oculaire froid. En effet, situé sous les lignes commerciales Paris-Afrique, le ciel de Saint-Moulart était parcouru des multiples zébrures fumeuses des long-courriers. Mais, comme on ne savait jamais, elle notait aussi les passages des avions normaux. Parfois, un objet de lumière affichait un comportement suffisamment erratique pour que le palpitant d’Edmonde grimpe à 180 pulsations/minute, et qu’elle tente de le pointer dans l’objectif. Hélas, ce genre de coïtus interruptus se produisait encore moins souvent qu’une revalorisation salariale au SuperVente.
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Il est impossible de faire comprendre quelque chose à quelqu'un
si son niveau de vie dépend directement du fait qu'il ne la comprenne pas.
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