Discussion: Quelques textes
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Vieux 15/01/2008, 22h01
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Ben Wawe Ben Wawe est déconnecté
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Ca faisait bien longtemps que je n'avais plus écrit en dehors des concours, et même pour eux ça fait bien deux semaines que je n'ai rien fait. Ayant fini les examens, je m'y remets lentement. Voici donc un petit texte dont je me rends compte à la relecture qu'il aurait pu cadrer pour le thème du mois, mais je préfère garder mon autre idée pour cela et laisser ce texte ainsi...je le trouve bien comme ça.
J'espère que ça vous plaira et que je n'ai pas trop perdu la main.

London by night.

La flammèche apparaît et embrase ce qui est proche. Rapidement, le feu prend dans la petite tige de nicotine recouverte de papier fin et blanchâtre. Il inhale lourdement, pour que l’étincelle devienne flamme. Il soupire. Ca fait du bien. Ca faisait longtemps. Il aime ça.
Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours eu cette saloperie dans la main et aux lèvres. Il est fumeur, il est né fumeur. Il mourra peut-être à cause de ça. Il devrait déjà être mort à cause de ça, en fait. Mais il a ses petits trucs pour s’échapper à ce genre de choses. Ça ne durera pas toujours, il le sait. Mais il en profite tant que ça fonctionne. Tant qu’il est toujours assez lui-même pour se trouver une porte de sortie. Sa spécialité.

Ses pas claquent sur l’asphalte. Il connaît ce son. Il l’accompagne depuis toujours. Comme les clopes. Comme cette ville. Sa ville. Il n’a pas grand-chose au monde, il a pratiquement tout perdu, que ça soit au niveau matériel ou au niveau relations, mais ça au moins, il est sûr : c’est à lui. Cette ville est à lui. Londres. Son monde. Son univers.

La nuit est fraîche, comme toujours dans la ville. La Tamise envoie son joli brouillard. Il a appris à l’aimer. Il a appris à s’y cacher, à s’en faire un allié. Ce n’était pas gagné d’avance, mais il a réussi. Il aime tout dans cette cité. L’odeur. Les sons. Le brouillard. L’agitation. Les petites rues étranges. Les pubs. Les endroits selects qui cachent des lieux encore plus secrets et souvent plus glauques. Les petits secrets inavouables. Les petits mensonges qui en donnent de gros.
Il aime tout à Londres. Sauf les gens. Il a du mal avec eux.

Non pas qu’il soit agoraphobe ou une merde du genre…non. Il a juste du mal à les voir sous un bon jour. Ça n’a pas toujours été comme ça, même si il a été durant toute son existence un petit con opportuniste et cynique. C’est juste qu’il a perdu des êtres chers…beaucoup. Trop. Et qu’il a du mal à accepter de se lier encore. Car il sait très bien que ça finira mal. Comme toujours. Et il en a assez de se battre et de souffrir au final.

La fumée s’infiltre dans ses poumons, et il soupire d’aisance. Ouais, ça fait du bien. Il essaye de baisser sa consommation, mais comme toujours, ça ne marche pas. Il est fumeur, et le sera toujours. Ca le déstresse et lui permet d’être plus serein, et parfois plus concentré. Et il en a souvent besoin, dans ce qu’il fait. Même si il ne sait pas vraiment comment le définir. Il n’a jamais cherché à trouver un nom à ce boulot. Peut-être parce qu’il s’en fout.
Il fait ce qu’il doit faire. Rien de plus. Même si ce n’est jamais joli.

Sur sa gauche. Accent gallois. Grosse bedaine. Crâne presque chauve. Les gestes incohérents, appuyé contre la vitre d’un pub. Un mec bourré, en train de délirer et de gueuler que les Sex Pistols ne sont rien que des pédés qu’il faudrait brûler. Il doit avoir plusieurs clones, à Londres, dans le même état. Surtout aux premières heures du matin.

Son pote essaye de le raisonner. Bon courage, mec, pense-t-il en s’arrêtant pour regarder la scène. Bien des fois, il a été dans le rôle du crétin totalement détruit par l’alcool, avec plus de bière dans les veines que de sang. Le bon vieux temps. L’époque où il n’avait pas trop de soucis à se faire. L’époque où il faisait son truc sans penser aux autres. Seulement, c’est fini. On est toujours rattrapé par son passé. On est toujours rattrapé par ses actes. Même lui.

Le Gallois continue et insulte de plus belle les Sex Pistols. Il soupire. Ce mec est con. Les Pistols n’étaient pas les meilleurs musiciens du monde, mais au moins ils faisaient bouger les choses et ces mecs savaient comment s’amuser. Il les avait rencontrés, à l’époque. Des mecs cools. Même si Johnny est un peu con et que Sid est parti trop tôt.
Pas des gens biens, nan. Pas vraiment le genre. Mais des putains de mecs quand même.

Il reprend sa marche. Il n’avait pas envie d’écouter plus…pas envie d’entendre encore que Sid Vicious a bien fait de crever, alors qu’il vaut facilement dix débiles de ce genre. Il n’est pas assez bourré pour exploser la gueule à ce crétin, et il n’a pas l’intention de boire plus pour en avoir l’occasion. Il a un peu passé l’âge pour ce genre de choses. Non pas qu’il se soit calmé…faut pas déconner, quand même. Juste qu’il réfléchit un peu plus avant de foncer tête baissée. Juste un peu.

Il continue encore, même si la voix faiblit à cause de l’alcool et de la distance qui s’agrandit entre eux. Quel gros con de gallois. Ce sont eux qu’il faudra cramer. Avec leurs putains de moutons.

Le bruit de ses pas se fait à nouveau entendre, alors que la cendre de sa cigarette est semée dans les différentes petites ruelles de Londres. Il devient vieux, quand même. Il a bientôt cinquante-quatre ans, bordel. Enfin, officiellement. Avec son truc, il fait moins que son âge. Mais quand même. Il en a fait du chemin depuis sa découverte dans le jardin, pas loin de quatre décennies auparavant. Beaucoup de choses ont changées. Pas en bien.
Mais il chasse tout ça de son esprit. Les souvenirs et les déprimes, ça n’est pas pour lui. Il est né pour vivre une existence folle et incohérente, et il est ok avec ça. Il a accepté ce fait depuis bien longtemps, et ce n’est plus maintenant qu’il va changer. Il est trop vieux. Trop con. Trop têtu. Ça n’en vaudrait pas la peine.

Ses pas le mènent près de l’eau, dans le brouillard, ce vieil ami. Il se sent bien. Ça l’a toujours calmé d’être près de l’eau. Il ne sait pas pourquoi. Il a pourtant eu pas mal de merdes avec ce genre de choses. Mais il est bien, là. Détendu. Calme. En paix avec lui-même. Du moins, autant qu’il peut l’être…et autant qu’on le laisse l’être.

La clope est jetée dans l’eau. Elles durent de moins en moins longtemps. Ou bien lui y fait moins attention qu’auparavant. Jadis, il pouvait les fumer durant un très bon bout de temps, simplement pour pavaner devant les potes. Ou économiser du fric. Il a toujours quelques problèmes d’argent. Mais il n’a plus de potes pour pavaner.
Ainsi va la vie. Une stabilité extrême pour certaines choses. Des putains de virages à quatre-vingt degrés pour d’autres.

Un cri. Dans la nuit. Pas vraiment rare à Londres. Malgré les chiffres et les « gentilles » mesures du « merveilleux » pouvoir en place, il y a encore des saloperies qui se passent par ici. Plus qu’on ne le croit. Plus qu’on ne veut le savoir. Les monstres se cachent encore à Londres. Ils s’y cacheront toujours. Parfois plus près qu’on ne veut bien l’accepter.

Il ne s’étonne donc pas de ce cri. Il en a entendu des centaines dans sa vie, et il est sûr que bien d’autres arriveront à ses oreilles. C’est donc avec tout le flegme britannique qu’il possède qu’il sort son paquet de cigarettes pour en mettre une autre à sa bouche. Il s’en fiche, en fait. Ce n’est pas son problème si quelqu’un a un souci. En plus, il ne sait même pas où c’est. Et il est vieux. Il a autre chose à faire qu’à jouer au héros. Il laisse ça aux autres. Aux dingues.

Seulement, si il n’est pas surpris par ce cri, il l’est plus par l’apparition qui lui succède. Sortant en trombes du brouillard, une jeune femme court. Nue. Les cheveux à moitié brûlés. Le corps recouvert de sang. Et avec un bras en moins. Ça, c’est pas commun. Même pour Londres.

Elle n’arrive même plus à crier. Elle semble à bout de force. Il n’aime pas beaucoup s’occuper des problèmes des autres, même si il a passé les trois quarts de sa vie à faire ça. Il rechigne toujours. Ça l’emmerde à chaque fois. Il dit qu’il ne veut pas se mêler des ennuis des gens qu’il ne connaît pas…et même de ceux qu’il connaît. Mais toujours, il soupire et s’avance vers ceux dans la merde pour les aider…simplement parce qu’il ne peut pas faire autrement.
Certains diraient qu’il a bon fond. D’autres qu’il est un héros malgré tout. Ils ne le connaissent pas. C’est un salaud. Mais il y a pire que lui. Et c’est ça qui fait le plus peur.

Elle a les yeux injectés de sang et de larmes. Elle a morflé. Le sang s’écoule de son bras et d’autres plaies sur son corps, mais il y en a trop pour que ça ne vienne que d’elle. Elle serait déjà morte, avec tout ça en moins. Ça veut dire qu’elle s’est faite arrosée. Et qu’il y a d’autres victimes. La merde.

Elle s’écroule à ses pieds, demandant de l’aide avec des râles et des gestes désespérés, alors qu’il a toujours sa clope à la bouche et le briquet dans la main. Il la regarde. Elle est en train de crever. Elle va crever. Il n’y a sûrement plus beaucoup d’espoir pour elle. Il pourrait la laisser là…de toutes façons, elle va y passer, personne ne peut l’amener assez vite à l’hôpital pour qu’elle s’en sorte. Ouais. Il pourrait la laisser, se casser et être peinard dans sa ville, à profiter de la nuit.
Il soupire. Il s’accroupit et range son briquet. Il ne la laisse pas.

Il la prend dans ses bras. Elle va y passer, il n’y a plus d’espoir. Mais ça ne veut pas dire qu’elle va vivre ça seule. Ca ne veut pas dire qu’il n’y aura personne avec elle lors de ses derniers instants. Son sang éclabousse toute la manche de son imperméable…il s’en fiche. Elle suffoque, elle a du mal à respirer. Normal. Elle n’a plus que deux ou trois minutes à vivre. Un simple regard lui suffit pour voir que son bras n’a pas été enlevé proprement, avec une scie ou un objet tranchant. Il y a des bouts de peau qui pendent, quelques morceaux d’os. C’est crade. Comme si on lui avait directement arraché le bras. Comme si on l’avait mordu…
Mais pas de conclusion hâtive. Faut essayer de la faire parler. Savoir qui lui a fait ça. Pourquoi. Où. Retrouver l’enflure responsable et lui dire ce qu’il pense de ça. A sa manière. Lente et crade, aussi.

Il n’a que quelques minutes pour tenter d’en savoir plus. Elle est en état de choc, elle voudrait que tout se finisse vite même si elle s’accroche désespérément à la vie. Pauvre gosse. Plus personne ne peut la sauver. Il peut juste la faire parler pour retrouver l’enfoiré responsable. Il essaye. Ce n’est pas simple, mais il a une certaine expérience des mourants et il arrive à ses fins. En quelques instants, il réussit à lui extirper ce qu’il lui faut. Il sait qui et où.

Qui, c’est elle et ses potes qui voulaient acheter de la drogue et qui se sont faits embarquer par un type dans un endroit qu’ils n’auraient jamais dû connaître. Cet endroit, c’est le où. C’est le nom qu’elle lui a donné. La Maison. Il n’aime pas ça.

C’est fini, et il se relève. Elle ne pouvait survivre à ses blessures, et apparemment elle n’est pas la seule à avoir subi ça. Pauvre môme. Elle ne méritait pas ça. Ok, c’était une droguée et ce n’est jamais bon, même si il est loin d’être un exemple pour ça, mais quand même…pas comme ça. Pas de cette manière. Pas aussi jeune.

Il ramasse la cigarette au sol et l’allume, d’un geste las et fatigué. Il sait qu’il ne peut plus reculer et qu’il va devoir aller à la Maison. Ca ne lui plaît pas, mais il n’a plus le choix. Elle a saigné sur sa manche, elle est morte dans ses bras, elle lui a demandé de l’aide…et il n’a pas pu la sauver. Bien sûr, il n’est pas un de ces tarés qui veulent sauver le monde, mais quand même…il a un peu de conscience. Parfois. Dans certains moments. Et il est en train d’en vivre un.

A nouveau, ses pas résonnent sur l’asphalte londonien. Il ne zone plus, maintenant. Il ne se ballade plus. Il sait où il va. La Maison. Que ça lui plaise ou non, il est mouillé dans cette affaire, et il doit intervenir. Pour une gamine qui est morte bien trop tôt et bien trop cradement. Il ne la connaît pas et ne sait même pas si c’était une fille bien ou non, mais il s’en fiche. A Londres, un malade arrache les bras des mômes et s’amuse à les torturer après les avoir appâtés. Il n’accepte pas ça. Pas dans sa ville.

En quelques minutes à peine, il est arrivé. L’avantage de connaître la ville comme sa poche. L’avantage d’être trop souvent venu là, surtout.

La Maison. Une vieille bâtisse fin XIXe siècle, à l’époque où les architectes roulaient à l’opium et à d’autres trucs louches. C’était une drôle d’époque. Remplie de mythes, de monstres, de légendes et de drogues. Il aurait bien voulu y vivre. Même si il aurait eu du mal sans le punk et ses clopes.
C’est donc un vieil immeuble d’un étage, avec une grande porte en bois foncé, entourée de deux fenêtres au rez-de-chaussée. Une lanterne est posée à la droite de la porte, et il peut voir qu’il y a aussi trois vitres au premier étage. Aucune lumière ne s’en dégage. Le toit sombre et recouvert de vieilles tuiles ne semble faire qu’un avec la nuit, et la lanterne fait penser à une sorte de phare dans l’obscurité, menant à la porte comme si c’était le seul refuge possible aux ténèbres. C’est le but.

Il soupire, sa cigarette toujours à la bouche. Il n’aime pas la Maison. Il y a passé beaucoup de moments, et ils n’ont jamais été très réjouissants. Il n’aime pas ceux qui la font vivre. Il n’aime pas son origine. Il n’aime pas son fonctionnement. Il n’aime rien de cet endroit. Il toque quand même.

Un petit battant de la porte s’ouvre pour laisser apparaître une paire d’yeux vitreux. Quelques secondes passent, le temps pour l’autre de le regarder. Il ne bouge pas. Il n’a pas à le faire. Ils savent qui il est. Ils ont peur de lui et ils ne veulent pas de lui dans la Maison. Ils lui ouvrent quand même. Ils ne peuvent faire autrement…refuser serait pire qu’accepter.
Il entre. Devant lui, des dizaines d’hommes gros et gras sont en train de s’amuser avec des jeunes filles ou des jeunes garçons à des jeux qui feraient l’admiration du marquis de Sade. Il expulse violemment la fumée de sa bouche. Rien n’a changé. Rien ne peut changer.

Le majordome tente de l’appâter avec ses hôtesses et leurs charmes. Il l’envoie valser sans ménagement. Il n’est pas là pour ça. Rien ne l’intéresse vraiment, par ici. Il ne prend pas la viande avariée…surtout quand elle traîne avec des saloperies comme les maîtres des lieux. Il a de la dignité. Un peu. Quand il n’est pas bourré.

Il slalome entre les politiciens fouettés par des nymphettes en cuir et des folasses qui s’amusent avec d’autres copines. Il sait où il va. La cave. Même si le majordome essaye de lui dire qu’il n’a pas droit d’y accéder, qu’elle est fermée, que l’entrée est interdite, qu’il n’y a rien d’intéressant là-bas. Il se met même devant lui pour lui signifier l’ordre de sortir. Il s’arrête et le regarde, les mains dans les poches et la cigarette à moitié consumée à la bouche. Il ne bouge plus.
De longues secondes s’écoulent, et la témérité du majordome décline de plus en plus. Pas facile de lui faire face et de lui dire qu’il doit dégager. Beaucoup l’ont fait. Beaucoup s’en sont mal sortis. Lui ne va pas faire exception à la règle.

Il fait tomber sa cendre sur le sol et le regarde. Il sourit. Le majordome croit qu’il a gagné et qu’il va partir. Il se trompe. La seconde d’après, l’employé sent la cigarette entrer en contact avec son œil. Un cri inhumain s’échappe de sa gorge alors qu’on le frappe encore dans le ventre. Le majordome s’écroule à terre. Il n’avait qu’à pas le chercher.
Il le dépasse et se dirige vers la cave. A peine la porte ouverte, il entend d’autres employés le menacer et s’approcher de lui. Un seul regard suffit à leur faire comprendre que leur pote a eu de la chance et que ça ne sera pas leur cas si ils font un pas de plus. Ils comprennent, reculent. Lui descend.

La porte claque derrière lui. Les ténèbres l’entourent. Il n’est pas étonné. Ca se passe toujours ainsi, dans la Maison. Un effet de style, diront certains. Lui sait que c’est la volonté des propriétaires des lieux. Ils savent donc qu’il est là. C’est bien. Au moins, il n’aura pas à se présenter et à leur rappeler qui il est. Il peut prendre son temps pour descendre. Les faire saliver. Les faire se demander ce qu’il fait là. Les faire s’inquiéter.
Quand il sera en bas, il pourra presque sentir leur peur. Il aime ça, aussi.

Il est en bas. Comme d’habitude, la descente a parue une éternité. C’est normal. On veut lui faire croire qu’il arrive aux Enfers, qu’il est une âme morte condamnée à souffrir pour les siècles et les siècles. C’est drôle. Ils ne savent même pas ce que sont l’Enfer ou la souffrance. Même lui n’est pas sûr. Il a du mal à se rappeler de certaines choses, parfois.
Il regarde à droite et à gauche…rien. Seule une lumière dénote dans l’obscurité ambiante. Là, c’est un effet de style, vraiment. Les maîtres des lieux veulent terrifier ceux qui ont la folie de vouloir descendre jusqu’ici. Il a eu un peu peur, la première fois. C’est passé.

En quelques minutes, il arrive au niveau des premières portes, renfermant au choix des salons de torture, des jeunes filles compatissantes prêtes à tout pour quelques dollars et leur liberté, et d’autres choses dont il ne veut pas se rappeler. Tout ça ne l’intéresse pas. Il sait où il va. Il y est en quelques pas, juste le temps de sortir son paquet et son briquet. Il hésite. Ce n’est peut-être pas une bonne idée d’en allumer une…du moins tout de suite.
Il range le briquet. Soupire. Se malaxe le nez au niveau des yeux. Et entre.

Comme prévu, il voit une énorme marre de sang avec des corps sans vie au milieu, nus. Il voit aussi le bras de la gamine qui traîne sur une des marches menant au liquide rougeâtre, placé au milieu de la pièce avec une sorte de fontaine. Sur les côtés, il peut voir d’énormes robinets et lavabos, certainement prêts à déverser le sang qui se trouve près de lui. Tout l’endroit est construit en architecture romaine, avec en plus peu de lumière et des jeux avec les ombres pour accentuer l’effet…tout pour le style. Ces types feraient fortune à Hollywood. Mais ce n’est pas vraiment l’argent qu’ils recherchent. Lui non plus.

Evidemment, son regard se pose sur le mur opposé, et il voit ce qui doit s’y trouver. Les maîtres des lieux, assis sur des fauteuils de pierre. Les Hôtes. Trois êtres qui n’ont d’humain que la forme. Ils sourient, bien sûr. Ils sont heureux de le revoir. Ils commencent à parler, l’un après l’autre, de leur voix doucereuse. Ils veulent savoir si il est prêt à reprendre ses vieilles habitudes à la Maison. Si il veut regoûter à certains plaisirs. Si il a certaines personnes à faire disparaître. Si il a besoin de quelque drogue. Ils peuvent tout lui donner en échange d’un engagement de sa part envers eux.
Les crétins. Comme si il ne pouvait pas s’occuper de tout ça lui-même.

Lui aussi parle lentement et calmement, la cigarette toujours à la main. Il leur explique pourquoi il est là, ce qu’il veut et ce qu’il va faire. Au fil de son discours, ils froncent leurs sourcils et semblent moins à l’aise. Il sourit intérieurement. Il aime ça.
Finalement, il s’arrête de parler et les laisse réagir. Il leur a calmement annoncé qu’il allait faire ce qu’il fallait faire pour que tout ça s’arrête, et ils commencent à rire, à se moquer de lui. Ils lui disent qu’il n’est qu’un humain, qu’il ne peut rien contre eux et qu’ils vont le détruire comme ils ont détruit tous les autres. Ils lui annoncent aussi fièrement que si il avait été là deux minutes plus tôt, il aurait pu sauver le dernier gosse. Ce n’était pas la bonne chose à dire.

Il les fait parler, avant tout. Il veut savoir ce que leur ont fait ces gosses, pourquoi une telle boucherie, tout en évitant de poser trop son regard sur l’horreur qui s’entasse dans la marre rougeâtre. Ils lui disent simplement que les gamins voulaient de la drogue, qu’ils ont été amenés à la Maison mais qu’ils n’avaient pas de quoi payer et qu’ils ont refusé de s’engager. Ils sont partis et ont volé un objet pour s’en payer autre part…un porte plumes. Et les Hôtes ne l’ont pas supporté. Ils se sont vengés.
C’est aussi bête que ça. Six gamins drogués sont morts simplement parce qu’ils se sont frottés à ce qui ne doit pas exister, et parce qu’ils ont volés un porte plumes. Ancien, sacré pour les Hôtes, mais juste un porte plumes. La vie de six gosses pour un putain de porte plumes.

Il n’est pas foncièrement quelqu’un de bien…il n’est même pas du tout quelqu’un de bien. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a du mal avec l’injustice et les saloperies de leur genre. Beaucoup de mal. Calmement, il remonte ses manches. Tout sourire a disparu de son visage. Il range la cigarette dans son paquet. La nuit va être longue. Il aura besoin d’elle, plus tard…quand tout sera fini.


Trois heures plus tard. Londres. Sa ville. Ses pas claquent toujours sur l’asphalte, et le sang a séché sur sa manche alors que les premiers rayons du jour apparaissent. Il fume. Encore. Il est fatigué, mais au moins s’endormira-t-il mieux ce soir. Ce qu’il a fait n’est pas beau, mais il devait le faire, tout simplement. Les monstres n’ont pas droit d’exister dans la cité. Pas sans son accord.

Alors que la fumée s’échappe toujours de sa bouche et de sa cigarette, il soupire et se demande de quoi la nuit suivante sera faite. Mais alors qu’il tourne à nouveau dans une des multiples rues de la ville, il sent une grosse masse s’effondrer sur lui, violemment et subitement. Il tombe, et l’énormité est sur sa poitrine. C’est un homme. Gros, laid, puant. Surtout puant.
En jurant, il parvient à se dégager, et aide même le type à faire de même. Il est bourré, il ne va pas bien. Il pourrait le laisser là, mais bon…il a déjà été dans cette situation. Et il était bien content quand les connards l’ont été un peu moins pour lui donner un coup de main.

Le type se relève, et il le reconnaît…le Gallois qui n’aimait pas les Sex Pistols. Et en plus, il lui vomit dessus, éclaboussant son visage tout en ruinant son imperméable et sa chemise. Ses jointures craquent sous la pression des poings serrés. Ses dents grincent sous sa nervosité et son envie de meurtre. Il a la rage. Il veut lui exploser la tête et ne rien laisser de son visage. Il veut le rouer de coups et le frapper, encore et encore, jusqu’à en faire de la bouillie humaine.
Il le regarde. Et ne le frappe pas.

Il parle une minute avec le type et lui donne quelque chose, en souriant légèrement. Il lui recommande de bien faire attention et lui murmure quelques mots à l’oreille. Il pose sa main sur son épaule en signe d’amitié. Et il s’en va, calmement, sa cigarette toujours au visage et les habits maculés de sang et de vomi.

Quelques minutes plus tard, le Gallois rencontre son ami, celui qui l’avait aidé, plus tôt. Il l’aide à marcher, avant de sortir le cadeau de sa poche. Il lui dit qu’il a rencontré un type sympa’, qui l’a aidé et qui lui a donné un cadeau. Il doit le garder toujours, ça lui portera chance, c’est une sorte de talisman. Ça l’empêchera de tomber sur des mauvaises surprises.
Le Gallois sourit, alors qu’on l’aide à marcher. Il murmure difficilement qu’il a eu de la chance de tomber sur un mec bien, qu’il n’y en a plus beaucoup à Londres, que c’était vraiment un chic type. Quelques mètres derrière lui, des ombres se mettent étrangement à bouger et à s’agiter. Son ami lui demande le nom de son bienfaiteur. Le Gallois met quelques instants avant de se rappeler, et il n’y arrive que quand il regarde son cadeau : un porte plumes. Un beau porte plumes ancien. Le type qui lui a donné ça s’appelle John. Et c’est vraiment un mec bien.
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