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Vieux 06/04/2007, 15h45
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Niglo change la caisse du Fauve


It Rhymes with Lust
(Dark Horse Comics, mars 2007, 136 pages, 14.95$)

Scénario : Arnold Drake & Leslie Waller.
Dessin : Matt Baker.
Encrage : Ray Osrin.


« La domination du Mal est sociale et politique. Le pouvoir social et politique est exercé par des salauds. Plus précisément, des capitalistes sans scrupules, alliés ou identiques à des gangsters groupés en organisations, ont à leur solde les politiciens, journalistes et autres idéologues, ainsi que la police et la justice, et des hommes de main. »
(Jean-Patrick Manchette, Chroniques)


Houla ! Dites-moi, ça doit bien faire quatre jours que je n’ai pas rendu hommage à nos chers disparus ! Il est temps d’y remédier.

Le hasard étant ce qu’il est, quelques jours après la mort d’Arnold Drake, Dark Horse rééditait ce récit, initialement paru en 1950, que Drake a co-écrit. L’événement semble n’avoir pas ému grand monde, pourtant It rhymes with Lust constitue un objet tout à fait singulier et même révolutionnaire, un graphic novel paru des années avant que le terme ne fasse son apparition (la couverture le qualifie en fait de ‘picture novel’) et que cette forme de récit ne se développe aux Etats-Unis. Une expérience presque sans lendemain (apparamment St. John Publications, l’éditeur initial, publia un second de ces picture novels, The Case of the Winking Buddha, par une toute autre équipe, mais je n’en sais guère plus).

Qu’est-ce qui rime avec Lust ? La réponse est Rust. Rust Masson, la jeune veuve de l’homme le plus puissant de Copper City, récemment décédé, et qui espère s’accaparer tous les pouvoirs de son défunt mari. Pour cela, elle fait appel à Hal Weber, journaliste et ancien amant, qu’elle compte bien manipuler à sa guise afin de se débarrasser de Marcus Jeffers, le seul politicien local, tout aussi pourri qu’elle, qui soit capable de lui faire de l’ombre. La seule personne semblant vouloir s’opposer aux projets machiavéliques de Rust est Audrey Masson, sa belle-fille, jeune demoiselle au cœur pur et noble, qui cherchera en Hal Weber un soutien et, qui sait, l’homme de sa vie.


On l’aura compris, It rhymes with Lust est un polar dans la grande tradition du genre. Le personnage de Rust Masson est une sorte de veuve noire, assoiffée de pouvoir, et ne reculant devant aucune méthode, aussi ignoble soit-elle, pour parvenir à ses fins. Jouant de ses charmes, elle va parvenir à étouffer la conscience d’Hal Weber, plein de bonnes intentions et fier porteur de l’étendard de la vérité journalistique, qui va systématiquement oublier toutes ses bonnes résolutions chaque fois que Rust entamera pour lui la danse des sept voiles.

A force de tergiverser, de renier ses convictions toutes les douze pages puis de faire une nouvelle fois machine arrière, le personnage d’Hal Weber est profondément énervant, et probablement le seul élément de cette intrigue qui ne soit pas à la hauteur. Certes, il finira par faire ce qu’on attend de lui, mais Dieu qu’il aura mérité quelques bonnes paires de baffes avant de se décider à tenir son rôle (on regrette même qu’il n’ait pas droit à une bonne séance de passage à tabac, histoire de). Audrey Masson, la belle-fille, jouera un rôle essentiel dans cette histoire, faisant dévier de temps à autre ce récit vers les rives des romance-comics.

Mais dans l’ensemble, Drake et Waller s’en tiennent aux principes du polar américain. Avec ses politiciens véreux, ses industriels sans scrupules, et ses braves gens qui souffrent des méfaits et des règlements de compte de ceux qui les gouvernent. Le discours social occupe une place importante dans ce graphic novel, parfois un pau naïf et manichéen, certes, mais qui a le don de donner davantage de corps au récit. Rust Masson n’est pas simplement une riche oisive qui s’amuse de la vie des autres pour occuper son temps, elle est la représentante d’une caste sociale dominante, prête à tout pour maintenir son statut. Le discours sous-jacent est emminement politique, comme tout bon polar qui se respecte.


Graphiquement, It rhymes with Lust est tout aussi réussi. Je ne connaissais pas Matt Baker, dont il est dit en postface qu’il fut l’un des premiers noirs à faire carrière dans le monde des comics, je le découvre ici. Son style est d’un classicisme extrêmement élégant, et Baker est aussi à l’aise lorsqu’il doit dessiner les trognes patibulaires de quelques truands ou les formes délicates et arrondies de ses belles demoiselles.

L’élément visuel le plus étonnant et intéressant, c’est le fait que les décors et arrière-plans ne sont pas encrés mais tramés. La technique surprend au premier abord, mais donne aux panels une profondeur bienvenue.

Remercions donc Dark Horse de nous avoir ressorti cette petite merveille, dont la lecture est hautement recommandée.

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