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Vieux 30/05/2011, 04h28
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AleK AleK est déconnecté
SpeedBall du pauvre
 
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AleK change la caisse du Fauve
Chapitre 04

26
MAI
Nous avions prévu de nous retrouver tous les quatre, les protégés d’Antonin, à une table du café de la commune. Peu de gens le fréquentaient, la réputation du lieu restait furieusement anarchique, nous ne nous attendions pas à croiser un autre étudiant. Le choix de l’établissement revenait à Vladimir. Il se proclamait très nostalgique de cette période d’insurrection, bien qu’il ne l’eût évidemment pas connu.

Henry décida de la boisson, il commanda des bières Moritz, encore totalement inconnues dans la capitale. D’après les dires du comte, la veuve Klein du VI savait brasser le houblon de façon honorable. Nous attendions nos chopes lorsque Eugénie sortie une blague a tabac et commença à rouler un long et fin cylindre. Après qu’elle ai eu tiré quelques bouffées, je fus interpellé par l’odeur entêtante de la cigarette. Voyant mon regard intrigué elle déclara :

« -C’est du Keemun, très répandu chez mes amies anglaises, elles le fument à leur « Five O’Clock », d’ailleurs elles le boivent également de temps à autres.
« -Elles le boivent ? M’enquérais-je.
« -Oui, c’est une sorte de Thé noir très parfumé, et également très doux en gorge.
« -Fumer du Thé, répliquais-je, cela me semble plutôt désuet.
« -Il se trouve, Monsieur, me fit-elle d’un air offusqué, que c’est là le tout dernier raffinement féminin britannique.
« -Fumisterie! lança Vladimir, son accent roulant et son sourire appuyant le comique de sa réplique. L’élitiste fera tout pour se démarquer de la masse prolétaire, jusqu’à leur prendre leurs vieilles dépendances. Les fermiers chinois et les importateurs occidentaux fumaient le thé voilà des siècles. En Russie mes compatriotes préfèrent le mélange slave, parfumé au Jasmin.

Eugénie écrasa son mégot à peine entamé, comme je l’avais remarqué à plusieurs reprises, elle m’aimait pas être prise en faute, voire gentiment rabroué sur des sujets futiles.

« -Allons Mademoiselle Eugénie, commença doucement Henry, qui avait visiblement des vues romantiques sur elle. Il ne faut pas prendre la mouche de la sorte lorsqu’on vous lance une pique. On risquerait de vous prendre pour une personne bien superficielle, finit-il en pouffant, anéantissant par là même toute chance de réponse à ses galanteries futures.

« -Je passerais donc là-dessus. Vous me comparez à un bovidé dans l’arène, simplement capable de taper du sabot, sachez que le rouge ne m’excite guère, et celui qui apparaît sur votre visage me laisse bien froide.

Je coupais court à ce duel de bons mots, et demandais à Vladimir :
« -Pouvez vous maintenant, s’il vous plaît, nous entretenir de votre rencontre avec le professeur ?
« -Et bien camarade, je n’ai pas le loisir de vous faire part des détails. D’ailleurs, j’ai bien peur que je ne puisse simplement pas vous parler du projet. Je connais les raisons qui me font rejoindre le professeur. Il me semble évident que vous y participerez, je me doute des bénéfices futurs pour Mademoiselle Eugénie et le Comte. Je m’interroge juste sur votre cas, Sigognac, conclu-t-il en me regardant d’un air mi-interrogatif, mi méprisant.
« -Je ne peux l’expliquer, me défendais-je, je ne suis pas quelqu’un d’aussi passionné que vous, je n’ai pas d’idéaux aussi extrêmes et novateurs, peut-être voulait-il un assistant plus indolent, moins prompt à juger les autres. Si ses expériences portent sur des sujets humains, mes connaissances en relations sociales peuvent être fortement utiles.
« -Vous ne pouvez pas imaginer ce qui pourrait être utile au projet, répliqua Victor, les yeux brillants.
-Si on avait la moindre idée de ce dont vous parlez, s’enflamma Eugénie, peut être pourrions nous nous enthousiasmer d’une pareille façon.
« -Je ne peux, et vous le comprendrez aisément demain, vous révéler la moindre chose à ce propos. J’ai sans doute fait une erreur en venant à ce rendez-vous inopportun.

Vladimir se leva, et quitta la table sans plus de cérémonie. Nous échangeâmes des regards. Personne ne réengagea la conversation pendant de nombreuses minutes, Nous savourions le houblon en silence. Eugénie roula une nouvelle cigarette de thé et l’alluma en frottant une allumette d’un geste vif sur le coin de la table.
« -Vous êtes aussi curieux que moi, engagea enfin la demoiselle.
« -J’avoue, répondit Henry, que bien des suppositions me passent en tête…

Il s’en suivit une soirée très prolixe, où beaucoup de possibilités furent abordées. Mais aucune, fussent-elles délirantes, ne s’approchèrent réellement de la vérité.
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