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Vieux 11/10/2011, 09h26
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Ben Wawe Ben Wawe est déconnecté
Dieu qui déchire sa race
 
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Merci !
Tiens, vu que tu as lu, je te poste la suite, elle aussi courte et dans le même thème :

Solidaire

L’air froid brûle ses poumons. Le vent hurle à ses oreilles, et souffle si fort qu’il a dû planter sa lourde épée dans le sol glacé pour se maintenir au rebord de la montagne, face au vide devant lui. Ses cheveux sont si gelés que le moindre de ses mouvements les casse et les fait chuter, brisés, sur le sol. Ses paupières ne parviennent qu’à s’ouvrir à moitié, le souffle et le gel les agressant constamment.
Il y est : il a atteint le Pic de Shoggoth, il est sur le toit du monde selon les vieillards. Il est là où sont nés les premiers dragons, les créatures terrifiantes qui ont un jour détruit l’unité des Trois Royaumes. En se délectant de la chair des Trois Rois, qui assuraient conjointement la direction du monde connu, en ravageant les Trois Capitales et en brûlant les récoltes années après années, ces monstres ont précipité la Chute.

Depuis, les hommes ne font que survivre, n’essayant même plus de forger à nouveau des fondations solides pour redevenir quelque chose. L’espoir est mort depuis longtemps.
Désormais, les Royaumes ne sont plus, seules demeurent des cités plus ou moins fortifiées, plus ou moins aptes à survivre face aux hordes de trolls et d’elfes noirs qui sévissent encore par les chemins. Les dragons eux-mêmes reviennent parfois, retrouvant avec délice le goût de la chair humaine pour quelques festins irréguliers.

Cela fait vingt ans que le monde des hommes est tombé.
Cela fait vingt ans que lui, en haut du Pic de Shoggoth, le regard perdu dans le vide, a juré de découvrir le nid des dragons, ou d’au moins d’en apprendre plus sur eux pour les traquer et les assassiner. Ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait au Roi Wayne.

Gravir le Pic de Shoggoth était son dernier espoir de trouver une trace de ces monstres. Il a marché dans tous les Royaumes Perdus, il a interrogé chaque survivant et personne n’a jamais su lui donner le moindre indice sur les dragons. Ils apparaissent après les nuages, fondant sur leurs victimes comme un cauchemar dans une nuit d’enfant, sans prévenir, sans doute et entourés d’une cape de ténèbres et de cendres.
Les flammes occupent rapidement leurs victimes, qui ne peuvent les détailler, avant que les hurlements des plus chanceux, ceux qui sont dévorés, ne rendent fous ceux qui ont l’horreur de périr par le feu ou de survivre.

Seuls quelques vieillards, encore plus anciens que lui, ont pu le renseigner sur le Pic et les légendes affiliées. Il a monopolisé toutes ses forces pour gravir les pentes impossibles, les flancs gelés. Il a atteint le point de non-retour en parvenant ici, et il avait su dès le début qu’il n’aurait la force de redescendre que s’il trouvait quelque chose au sommet.
Il a été aidé sur la fin de son périple par la femme et l’enfant, qu’il n’avait utilisés que comme porteurs et aidants. Plus d’une fois, ils se sont révélés pratiques pour aller au-delà de passages plus difficiles. Plus d’une fois, ses faiblesses ont été compensées par leur jeunesse.

Malheureusement, leur utilité s’est aussi accompagnée de contraintes lourdes : plus de pauses, plus de lenteur, plus de paroles, plus de complaintes… rapidement, il s’est rendu compte qu’ils lui apportaient autant qu’ils ne lui coûtaient.
Il n’est guère un homme patient, mais il s’est interdit de les frapper ou de les abandonner : il a eu besoin d’eux pour parvenir jusqu’en haut du Pic. Ils sont alors parvenus à un bon équilibre entre leurs qualités et défauts dans l’escalade. Ils sont un peu comme une balance parfaitement stable, dans son esprit. Peut-être qu’ils réussiront à pencher du bon côté, à un moment. S’il a encore la force de bouger après cette énième déconvenue.

Il y est, maintenant. Il a fait deux fois le tour du sommet du Pic de Shoggoth, cherchant dans la neige et la glace des traces justifiant son escalade ; il n’a rien trouvé dans ce plateau grand d’un kilomètre, avec uniquement une excroissance rocheuse au milieu avec une petite cavité en son sein.
Le cœur lourd, il observe la neige et la grêle devant lui, le froid pénétrant ses chairs malgré ses couches de vêtement. Même ce dernier espoir n’est plus. Même la dernière piste s’est éteinte.

L’enfant et la femme sont derrière lui, grelottant dans la petite cavité malgré les peaux de bête récupérées dans le sac de l’homme qui a tenté de la forcer ; ils sont emmitouflés dans leurs habits, seuls leurs nez et leurs yeux sortant de leurs capes, peaux et bonnets.
Ils n’attendent que son signal pour redescendre ; il ne sait toujours pas s’il va le donner ou non. Depuis des années, la seule raison qui le pousse à marcher et à soulever la lourde épée est d’enfin trouver un nid de dragon, ou au moins un indice sur cette race et les moyens de les tuer.

Nul ne sait rien d’eux. Même les légendes sont muettes sur leur origine et leurs caractéristiques.
Les hommes ont cédé face à des créatures qui demeurent un mystère, même pour lui. Même pour le dernier envoyé du Roi Wayne. Il a failli à sa dernière mission.

Il baisse les yeux, las. Autour de lui, sur ce sommet enneigé et glacé, la désolation règne. D’autres que lui auraient sautés. D’autres que lui auraient abandonnés cette vaine quête depuis longtemps.
Lui sait que le destin peut encore offrir des cadeaux aux braves parmi les braves.

Mais… oui, pense-t-il. Oui, c’est bien cela. C’est bien ce qu’il croit voir.
Il reste calme, penché en avant, tout son poids reposant sur l’épée. Il se force à ne pas exulter en apercevant la forme tant redoutée au coin de son œil. Il se force à ne pas éclater de rire en imaginant ce qui va arriver, alors que le dragon approche et essaye d’être discret, songeant que la tempête n’a pas révélé sa présence. Oh oui, hurle-t-il en son for intérieur, elle arrive. La glorieuse bataille. Enfin.

Hélas, alors que le vent s’intensifie, que le froid se teinte légèrement de chaleur devant lui, que l’air le pousse en arrière alors qu’il l’amenait vers l’avant auparavant, un cri déchire le Pic et l’obscurité.

L’enfant.
Il hurle. Il s’époumone. Alors qu’il n’a pas ouvert la bouche quand sa mère allait se faire forcer, alors qu’il n’a rien dit quand le responsable a été énucléé, alors qu’il n’a pas prononcé un son durant l’escalade, voilà qu’il braille autant qu’à sa venue au monde.

Evidemment, sa mère tente de le faire taire, mais il est déjà trop tard : le dragon, qui se cachait jusque-là dans les nuages et s’approchait lentement, est conscient d’avoir été repéré. Son plan de laisser la bête s’approcher pour enfourcher son museau, rare élément faible de sa cuirasse d’épines, n’est plus.
Il doit maintenant improvisé alors que la bête apparaît dans toute sa splendeur devant lui. Enfin.

Pendant une seconde, il est impressionné par la stature du monstre. Il ne s’agit pas des dragons domestiqués, enfants bâtardisés et miniaturisés des créatures initiales, découverts à l’état d’œufs par des aventuriers errants et montés par ces fous. Même si le commerce du voyage pousse des inconscients à pratiquer ces moyens de transport, ils demeurent peu fiables mais ne sont pas de vrais dragons. Ils ne sont pas habitués au vol en haute altitude, et c’est bien pour cela que le dragonnet portant l’enfant et la femme s’est écrasé sur le Pic.

Non, il ne s’agit guère de vrais dragons. Pas comme celui qui lui fait face.
Il est énorme, simplement énorme. Cent mètres de haut, trois cent de long, cent cinquante de large. Rouge. Les écailles bordeaux. Le museau recouvert de cicatrices d’épées et de lances. L’œil gauche blanc, mort. L’œil droit rouge, avide, impatient… animal. L’haleine brûlante et mortelle. Les dents recouvertes d’os et de muscles. Humains.
Le dragon a mangé il y a peu. Et il a encore faim.

Il a pensé que la piste du Pic était fausse : il s’est trompé. Même s’il n’y a guère de trace d’un passage ou d’une éclosion, les monstres viennent aussi au Pic de Shoggoth. Pourquoi ? Il ne sait pas. Cela ne l’intéresse pas.

La bête est là ; lui aussi.
Rien d’autre n’importe.

Lentement, il sort de la glace l’épée. Longue d’un mètre, elle est d’un acier pur, forgée par les maîtres nains avant qu’ils ne disparaissent suite aux parties de chasse orchestrées par les Trois Rois. Son pommeau a été recouvert de la peau brûlée du Roi nain, Dwarin. Le manche a été taillé dans les arbres elfiques.
La lame a un nom : Trilium. La lame des Rois. L’emblème des Trois Royaumes, aujourd’hui perdus. A cause du monstre en face de lui, qui semble vieux et expérimenté. La bête a dû être parmi les premiers. Un trophée magnifique.

Généralement, il doit tenir l’épée à deux mains pour l’empêcher de chuter lourdement et de frapper le sol. Ses forces de vieillard peinent habituellement à la soulever – plus maintenant. Il est à l’endroit qu’il voulait, face à la bête tant attendue. L’affrontement dont il rêve aura enfin lieu. Il se sent rajeunir.

Le dragon le fixe, le battement de ses ailes le repousse lentement sur la neige et la glace ; il l’observe aussi. Il sait quand la bête va frapper. Il sent que le premier contact est proche. Son corps et son expérience lui hurlent ce qu’il sait déjà : le monstre a faim, veut le gober en lui arrachant d’abord la tête, met préféré de ces abominations. Il sourit, lève la lame pour frapper alors que le dragon s’avance, sollicite tous ses muscles pour cet effort alors que le monstre fonce sur lui et… rien.
Ni choc, ni coup, ni contact.

La bête est passée au-dessus de lui. Elle l’a évité.
Ce n’est pas lui qu’elle fixait. Ce n’est pas lui sa cible. Elle n’a même pas pris la peine de le chasser d’un coup d’aile. Elle s’est envolée pour redescendre en piqué et frapper la cavité, son immense gueule aspirant la roche, la glace et ses occupants. Ou plutôt son occupante.

L’enfant est à quelques mètres, au sol, allongé. La femme a dû lui intimer l’ordre de fuir, et les larmes sur ses joues déjà glacées indiquent qu’il ne voulait pas l’abandonner.
Elle hurle alors que la bête mâche, cherchant dans les débris de la montagne la précieuse chair de sa victime. Lui fixe le monstre, les doigts crispés autour du manche de Trilium. Sans s’en rendre compte, il serre les dents – autant de froid que d’indignation.

Lentement, il s’approche du garçon, désormais à genoux. Le dragon s’est posé à moitié sur le sommet du Pic de Shoggoth, qui ne s’écroule pas, comme s’il avait l’habitude d’un tel poids. Ils viennent décidément ici.
La bête mange, goulument. L’enfant pleure, encore et encore. Lui et le petit sont juste en face du dragon, qui bientôt aura terminé son tri et voudra plus.

Il sent le regard de l’enfant sur lui. Il connaît sa demande d’aide avant qu’il ait pu la formuler. Il se souvient de la multitude d’êtres qui ont, eux aussi, sollicité sa protection pour survivre ; il se souvient du nombre de fois où il a risqué sa vie pour eux, toujours victorieux. Toujours vainqueur. Le protecteur des faibles, voilà comment il était appelé, avant.
Jadis.

Muet, sans un regard pour le garçon, il libère une de ses mains et l’attrape au col, ses doigts gantés s’accrochant à sa petite cape en peau de bête. Le garçon hurle à nouveau, inconscient du fait qu’il ne parvient qu’à renforcer sa détermination.
Sans un mot, toujours, il soulève l’enfant et l’envoie au dragon. Sur sa gauche, donc la droite de la bête. Là où l’œil voit.

Le monstre tourne le crâne pour attraper au vol l’offrande. Ceci faisant, il coupe sa vision, son œil droit ne pouvant plus voir que le garçon et non plus l’autre adversaire. Celui-ci sollicite ses dernières forces pour courir vers la bête, la lame coincée entre ses doigts et ses avant-bras, comme un bélier.

Sans cri, sans hurlement, sans rage, il enfonce Trilium dans l’œil de la bête.

Malgré les hurlements, malgré les flammes qui rongent la glace du sommet, malgré les mouvements du monstre pour s’envoler définitivement, il s’accroche. Il lutte contre l’abomination, une volonté de mort face à une volonté de vie.
La bête n’est guère habituée à se voir dicter sa conduite et à souffrir. C’est peut-être une première pour elle. C’est définitivement la dernière.

Après de longs instants de lutte, le dragon cède et retombe lourdement au sol. Il le suit dans sa chute, roulant sur la neige gelée, abandonnant au passage la lame dans l’œil mort et ensanglanté du monstre. Il a réussi à percer le cerveau de la bête grâce à l’épée si longue des Trois Rois. Il a vaincu au nom du Roi Wayne, selon le plan de ce dernier.

Couché, face au ciel obscur et zébré de neige et de grêle, il se laisse aller à un sourire. Le premier depuis deux décennies. Sa dernière mission est accomplie. Il a suivi la dernière demande du dernier des Trois Rois. Il est un homme libre.
Maintenant, il peut redescendre, découvrir les joies de l’errance et de la vie sans maître ni but. Nul doute que sa conduite sera toujours la même, mais son cœur sera plus léger. Il n’est plus le dernier chevalier des Royaumes Perdus. Il est un simple survivant, comme tous les autres. Cela est amplement suffisant.

Lentement, il se relève et s’assoit dans la neige. En tournant la tête, il voit la carcasse du dragon et les jambes de l’enfant qui dépassent de sa gueule encore chaude. La seule réflexion qui lui vient à l’esprit est qu’il a bien fait de les prendre avec lui : même s’ils ont failli lui coûter la victoire au début, ils se sont finalement révélés bien pratiques.
La solitude a du bon. La solidarité aussi.
Réponse avec citation