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Vieux 24/04/2018, 15h24
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Hawkguy
 
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Après une longue attente due à de nombreux reports de sortie (eux-mêmes consécutifs à des retards de production - dans l'écriture, les dessins, ou les deux ?), voici enfin que parait le troisième et pénultième épisode de Batman : Creature of the Night. L'enseignement immédiat qu'on retire de cette lecture est que, non, Kurt Busiek n'égalera pas avec cette relecture de Batman ce qu'il avait produit avec Superman (dans Superman : Secret Identity, dessiné par Stuart Immonen). Mais cela ne signifie pas que les qualités font défaut à ce projet, dont le charme est indéniablement envoûtant.


Pourquoi ai-je dit en préambule que Kurt Busiek ne rééditerait pas son exploit de Superman : Secret Identity avec Batman : Creature of the Night ? Il ne s'agit pas d'une affaire de talents car le scénariste s'est montré aussi habile pour conduire son récit et nous captiver que John Paul Leon pour l'illustrer, avec une qualité égale à celle, jadis, de Immonen (chacun dans leurs styles).

Alors quoi ? Il va falloir comparer, mais si comparaison n'est pas toujours raison, cela permet de pointer l'endroit où le récit bascule et élève l'ensemble de l'intrigue vers un chef d'oeuvre ou une production moins accomplie.

Cet instant-charnière se situe précisément dans ce troisième épisode qui s'est tant fait attendre (depuis le mois de Décembre dernier quand même). On pourrait presque croire que la raison de ce retard vient justement du doute qui a pu s'emparer de Busiek au moment où il a fallu procéder à la révélation qui signerait son projet.

Depuis le début, Bruce Wainwright et le lecteur s'interrogent sur la nature de la Créature de la nuit et le lien qui les unit. On l'apprend à mi-chemin de ce chapitre quand Bruce déduit, de manière logique aux vues de ses investigations, que la Créature est l'incarnation de son frère jumeau mort-né, Tommy, dont il vient de découvrir la plaque à côtés de celles de ses parents au cimetière.

Et soudain, c'est comme si la solution proposée par Busiek révélait le piège de son dispositif narratif, condamné en quelque sorte à décevoir car levant le mystère par un effet finalement à la fois évident et facile. Ce jumeau sort de nulle part, trop providentiellement, il ne peut satisfaire la curiosité qui le précédait. Comme on dit : quelle est la différence entre un mystère et une énigme ? Une énigme a toujours une réponse. En en donnant une au mystère de son histoire, Busiek lui ôte sinon toute, en tout cas beaucoup (trop ?) de sa beauté, de sa puissance. Tout devient alors clair (un comble) : l'apparition de la Créature, sa présence protectrice, l'expression de sa violence traduisant la frustration de Bruce, etc.

Dans Superman : Secret Identity, il s'agissait d'une relecture poétique, parallèle, subtilement décalée de Superman à travers l'existence d'un jeune homme que ses parents avaient facétieusement prénommé Clark comme l'alter ego du kryptonien. Lorsqu'il se découvrait les mêmes pouvoirs (mais aussi les mêmes responsabilités, les mêmes problèmes) que le super-héros des comics, le mystère perdurait sur leurs origines. Il ne s'agissait jamais tant de raconter l'histoire d'un surhomme mais bien d'un humain pourvu de capacités extraordinaires et identiques à celles d'un personnage fictif. On le voyait grandir, vieillir, vivre en couple, avoir des enfants, sans jamais savoir pourquoi lui, comment, etc. Un mystère sans réponse, infiniment intriguant et fascinant et touchant, qui permettait, miraculeusement, de s'identifier, ou du moins comprendre l'existence de ce Superman-là.

Ici, en levant le voile du mystère, en expliquant, Busiek gâche ce qui faisait une partie du plaisir du lecteur - cette frustration de ne pas savoir associée au plaisir d'assister au spectacle de ce tandem invraisemblable. Il prive le lecteur d'autres interprétations possibles (la Créature comme un fantasme de Bruce, une apparition magique, une manifestation de ses démons intérieurs). Même si cela ne signifie pas que le quatrième et dernier Livre ne sera qu'un dénouement classique, convenu, une vengeance contre un politicien corrompu, le champ des possibles se trouve réduit par l'explicitation. Une erreur tactique. "... Publiez la légende", comme il est dit dans L'Homme qui tua Liberty Valance : autrement dit, laissez au lecteur le choix de croire ce dont il a envie si cela sert la mythologie, non pas pour tromper, abuser, mentir, mais pour servir la (bonne) cause.

John Paul Leon n'a pas à partager cette décision discutable : sa prestation reste extraordinaire et soutient la comparaison avec celle d'Immonen, tout en évoluant dans un registre différent. Maître du clair-obscur, il délivre des planches d'une puissance inouïe, si bien qu'il est impossible d'en distinguer une (ou quelques-unes) plutôt que d'autres.

Voyez comment il représente une nuée de chauve-souris quand la Créature sur le point d'être arrêtée par la police s'échappe en se décomposant ainsi : la scène a une beauté plastique fabuleuse grâce à la technique fabuleuse de l'artiste mais aussi à son intelligence dans le cadrage, une image simple qui souligne l'effet désiré.

Leon joue aussi avec la verticalité et l'horizontalité de ses cases selon les besoins de l'action. Quand il met en scène Bruce, il privilégie les vignettes horizontales qui en formant des bandes comme autant de strates sur la page suggèrent l'écrasement subi par le jeune homme. En revanche, quand il veut indiquer une élévation, annoncer une révélation dynamiser la narration, il opte pour des plans verticaux qui renvoient au point de vue aérien, surélévé de la Créature, veillant depuis les hauteurs de la ville sur son protégé. C'est aussi une manière subtile d'interpréter visuellement la prière, l'invocation, la sensation d'être observé, ou de chercher dans les cimes une réponse : Bruce comprend qu'il a conservé son lien avec la Créature en levant les yeux au ciel, quand il l'appelle il monte au sommet d'un immeuble, quand il se réconcilie avec elle et a appris qu'elle était son frère jumeau c'est parti pour une séquence de voltige vertigineuse, enfin quand il confond le détective Gordon la créature le laisse tomber dans une benne à ordures depuis le toit d'un bâtiment.

Saisissant aussi est la façon dont John Paul Leon épure son trait pour intensifier une ambiance ou une explication : il consacre une pleine page où on voit Bruce se recueillir en se lamentant sur la tombe de ses parents, juste avant qu'il ne découvre celle de Thomas (un plan vertical) ; plus tard il écoute l'exposé sur la gémellité et les symboles du professeur Nibisi et seule le visage de l'enseignante apparaît en gros plan, dans un coin de la vignette (à notre gauche) tandis que l'autre partie de l'image (à notre droite) est occupée par des symboles appuyant l'argumentaire.

Enfin, Leon est connu pour travailler sur le noir et donc les effets de contraste naissent du peu de blanc qu'il laisse à un plan parfois. Une démonstration impressionnante en est donnée lorsqu'on assiste à la fin de l'épisode à la fusion des corps de Bruce et de la Créature - cette dernière enveloppant de ses ailes/sa cape son frère à genoux, avant de se redresser, plus bête qu'homme, animé par le désir de vengeance. En arrière-plan, par des traits épais qui ne permettent de distinguer que le minimum nécessaire, on distingue alors le malaise dont est victime l'oncle Alton soutenu par Robin, devant ce spectacle terrifiant. Au propre comme au figuré, les ténèbres ont absorbé le héros.

Plus somptueux que satisfaisant, il faudra maintenant attendre (en espérant plus de ponctualité) la suite et fin de cette mini-série pour juger de la qualité de son dénouement. Souhaitons que Busiek ait gardé un atout dans sa manche en plus de la maestria de Leon.
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