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Vieux 04/03/2018, 22h43
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Zen arcade Zen arcade est déconnecté
Dieu qui déchire sa race
 
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Zen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John ConstantineZen arcade part en virée avec John Constantine
"Souris et chat : l'anthropomorphisme était-elle une bonne idée ?"

A mon sens, la question ne se pose pas en ces termes.
Je pense surtout que pour Spiegelman, c'était la seule représentation possible.

La représentation de la vie (et de la mort aussi évidemment) dans les camps d'extermination pose des questions éthiques que n'a pu éviter de se poser Spiegelman.
L'anthropomorphisme, c'est le seul moyen de représenter :
* l'irreprésentable : le mal absolu en tant que processus industriel dans un lieu circonscrit
* l'irreprésenté : il n'existe aucune documentation d'époque de ce processus industriel d'extermination

A cela viennent se greffer d'autres choses, entre autres :
* la confusion entre camps de concentration et camps d'extermination, alimentée par le film "Nuit et brouillard" d'Alain Resnais (et ses images de Bergen-Belsen), film exceptionnel et pionnier mais qui est confus sur ce point.
* la posture théorique d'intellectuels comme Theodor W. Adorno qui s'interrogent sur la possibilité d'écrire après Auschwitz
* la position de Claude Lanzmann (qu'il formalisera dans le monumental "Shoah") que la recréation artistique des camps d'extermination relève de l'obscénité.
Tenter de représenter les camps d'extermination en utilisant des procédés relevant d'une forme pouvant être apparentée au réalisme, c'est abject.
Dans ce sens par exemple, et pour rester dans le monde des comics, l'épisode de Wolverine à Sobibor par Mark Millar est abject.

L'anthropomorphisme joue aussi dans Maus un rôle de distanciation par rapport à l'horreur de ce qui est décrit.
On peut dire que cela permet d'ouvrir la lecture de l'ouvrage à des lecteurs plus jeunes (c'est sans doute vrai) mais je ne vois pas là le cœur de la démarche de Spiegelman.
Passé le prérequis qui fait de l'anthropomorphisme la seule représentation possible de ce qu'il entend montrer, Spiegelman utilise l'anthropomorphisme comme un outil de distanciation qui lui permet de générer l'émotion mais sans jamais verser dans le pathos.
Le soucis de distanciation, le travail sur la distance, me paraissent au cœur de la démarche de Spiegelman.
Parce que le cœur de Maus, c'est le travail sur la distance entre Art et son père, entre Art et son frère décédé et plus généralement entre ceux qui ont vécu la Shoah (Vladek et les autres) et ceux qui ne l'ont pas vécue (Art, nous lecteurs).
Il y a une volonté de se confronter à ce fossé infranchissable, d'approcher l'indicible tout en sachant qu'il est par essence inatteignable.
Travailler sur la distance, c'est évidemment se demander comment il peut être possible de représenter l'irreprésentable.

Enfin, narrativement parlant, Maus se présente comme un gigantesque jeu du chat et de la souris entre Juifs et Nazis et dès lors, les Juifs en souris et les Allemands en chats, ça s'intègre à merveille dans la construction du récit.
Je trouve cependant perso qu'au delà de la formidable idée de représenter les Juifs en souris et les Allemands en chats (sans gommer le fait que toutes souris ne sont pas nécessairement gentilles et tous les chats nécessairement méchants), ça fonctionne moins pour les Polonais en cochons (même si l'idée de faire porter un masque aux Juifs qui veulent se faire passer par des Polonais non-Juifs est superbe).
S'il y a une limite au choix de l'anthropomorphisme par Spiegelman, je pense que c'est là qu'elle réside.
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"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - Arbre de fumée
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