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Vieux 11/08/2018, 19h06
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1996-2015 : l'évolution de Mister Fantastic... ou l'éternel recommencent ?

De DeFalco à Hickman, de la figure du père et du meilleur, au savant autiste menaçant !

Bonjour à tous.

J'ouvre aujourd'hui ce sujet pour évoquer un personnage qui m'est cher : Reed Richards (longtemps Red, dans nos contrées), alias Mister Fantastic.



Créé par Stan Lee & Jack Kirby en novembre 1961, en compagnie de ses trois camarades, il sera le leader de ce qui sera longtemps considérée comme la figure de proue de l'univers Marvel : les Fantastic Four.
Premier titre de ce qui deviendra l'empire Marvel, cette série sera, durant bien des périodes et surtout celle du duo créateur, le creuset de créations extraordinaires, dynamiques et pleines d'imagination et de puissance ; sans Fantastic Four, pas d'univers Marvel, pas de MCU, de Ghost Rider, pas Wolverine, pas de Venom, pas de Squirrel-Girl (bon, personne n'est parfait).
Et sans Reed Richards, clairement, pas de Fantastic Four : il est le créateur de l'équipe, le moteur du groupe, le lien entre les personnages, et celui qui donne leurs origines aux autres ; il est le premier héros Marvel, dans cette optique éditoriale.

Dans ce message, ce billet presque, j'ai moins envie d'évoquer le personnage en lui-même - qui est archi-connu, comme l'homme le plus intelligent de Marvel avant même l'accident qui lui donnera ses pouvoirs, qui mène son équipe dans bien des aventures - ou encore les quelques failles qui le suivent - et notamment la différence d'âge, jamais claire, avec Sue, ou encore la date de début de relation, qui un temps fut fixée à 13 ans pour la jeune fille - que l'évolution qu'il a subie depuis, grosso-modo, le temps que je lis des comics.

J'ai débuté en 1998, via un numéro de Heroes Reborn des F.F. (déjà), et j'ai immédiatement accroché avec le groupe ; au point de me passionner pour eux, de chercher et trouver bien des magazines Nova en occasion, et suivre mensuellement leur(s) série(s) pendant plus de quinze ans.
Cependant, au fil de mes lectures contemporaines et anciennes, j'ai remarqué quelque chose dont je veux parler aujourd'hui.

Entre septembre 1996, dernier numéro de la série historique et du scénariste Tom DeFalco (qui avait débuté en janvier 1992, après avoir longtemps milité pour obtenir le titre) et août 2018 (retour de la série F.F. sous l'égide de Dan Slott), le personnage de Mister Fantastic est passé de la figure paternelle de l'univers Marvel... à la figure du savant autiste renfermé, menaçant et dont il faut se méfier.

Comment ? Pourquoi ?
Je vais essayer d'y répondre, via mes observations et mes maigres théories.

Oh, première chose : je ne maîtrise en rien les critères, spectres, symptômes et définitions de l'autisme. Je ne l'utilise pas ici comme cette fameuse expression populaire et insultante, mais j'utilise ici le fait que le personnage se soit défini tel quel ; certes, ce fut dans un Season One, mais cela n'a fait que confirmer ce que beaucoup envisageaient déjà (Morrison, dans 1.2.3.4., notamment).

***

DeFalco, Lobdell, Clarement, Pacheco, Waid : la figure du père en retrait forcé.


Reed Richards, la symbolisme paternelle.

Pendant longtemps, Mister Fantastic a été littéralement la figure paternelle, d'autorité de l'univers Marvel : autorité scientifique qu'on venait voir pour tout et n'importe quoi, meneur familial de son groupe, mais aussi personnage si charismatique et installé qu'il en impose aux autres. Son bref passage dans les Avengers de Simonson a illustré la quasi-impossibilité pour Mister Fantastic d'évoluer sous les ordres de quelqu'un, car son autorité naturelle, son sens des responsabilités et son bagage le rendent incontournables.

Cependant, cette ultra-compétence et ce statut de père de l'univers Marvel, sur bien des points (historique éditorial, mais aussi dans la BD : combien d'éléments de science des séries Marvel sont-ils dérivés de lui et de ses aventures, dont il est le moteur ?), sont relativement lourds à gérer et à supporter, notamment dans son propre titre.
Certes, les trois autres ont pu évoluer, grandir et s'affirmer autour de lui, mais ce ne fut pas simple ; et il fallut, régulièrement, des disputes et départs pour acter l'avancée des autres, comme marqueurs contre Reed.

Tom DeFalco, un éditeur de Marvel au style qui ne laisse pas indifférent (on aime ou on déteste ; personnellement, par le fait qu'il est l'auteur de la majorité des comics "vieux" que je trouvais quand je m'ouvrais aux comics et que je cherchais à les comprendre, j'aime et il incarne "mes" F.F.), n'hésite pas à se séparer de Reed Richards dans sa gestion du titre.
En effet, il fait croire que Reed & Doom meurent tous deux, abandonnant les F.F. suite à cela... qui en explosent, littéralement. Le groupe s'effondre de lui-même, chacun vit et va dans son coin, et ce sur plusieurs épisodes ; mais cela ne sert qu'à montrer que les personnages peuvent et doivent se construire sans cette figure du père, soudain absente;
Par une gestion pertinente des rebondissements, un dynamisme axé sur la course constante, DeFalco fait grandir définitivement ses personnages, qui recréent les F.F. finalement, mais sans Reed, avec d'autres alliés ; différents, mais plus forts.
D'ailleurs, le retour de Reed ne sera pas sans heurts, le père incarnant le conservatisme et les "bonnes vieilles méthodes" ne convenant plus au trio, qui a notamment vaincu des Célestes et des Gardiens seuls.

En définitive, "tout finit bien", mais la pierre est lancée dans la mare : les F.F. n'ont plus besoin de Reed Richards comme du père, incontournable et puissant ; ils n'ont plus autant besoin de lui.
Et la suite va confirmer cette tendance.

Passée la parenthèse Heroes Reborn (dont le titre F.F. fut le plus beau fleuron, même si l'Iron Man fut le plus passionnant), les F.F. sont relancés par Lobdell & Alan Davis en janvier 1998 ; hélas, pour trois seuls numéros.
Au-delà de cette terrible occasion manquée, on ne voit pas grand-chose ici - même s'il y a, déjà, ce sentiment que les trois autres n'ont pas forcément besoin "que" de Reed pour s'en sortir. La démarche est reprise, donc.


Reed Richards, le héros qui se force à lutter seul.

Arrivent alors Chris Claremont et Salvador Larroca, qui seront suivis alors par Carlos Pacheco ; et cette dynamique continue.
Le premier duo s'appliquant à apposer sur les F.F. les recettes d'anciennes réussites du père des Uncanny X-Men, et le second essayant de faire du neuf avec de l'ancien (Abraxas, la Zone Négative, la Torche en leader de l'instant), la lecture est dynamique et fort agréable - mais, en creux, on lit encore la mise progressive à l'écart de Reed Richards, et la lente montée en puissance de l'idée qu'il puisse être menaçant.

Trois exemples, pour cela, et non chronologiques.
En premier, Chris Claremont ne peut, au début de sa prestation, utiliser Dr Doom, coincé sur la Counter-Earth de Heroes Reborn (dont le statut a évolué au fil du temps ; personnellement, la localiser dans le ballon bleu de Franklin me plaisait). Il créé une copie un peu creuse du personnage, dont le nom m'échappe, et qui parvient à bloquer l'imagination de Reed, qui ne peut rien créé - mais ce dernier n'en parle pas à ses proches, qui doivent venir l'aider après bien des échecs.
En deuxième, Pacheco montre qu'il faut que Doom vienne sauver Sue durant son accouchement de Valeria, car Reed est incapable de sauver l'enfant. Une divergence totale des 60s, où Reed identifie la menace pesant sur Franklin à sa naissance, et va s'occuper de la solution, certes avec ses amis.
Enfin, l'évident passage où Mister Fantastic est coincé dans l'armure de Doom après un conflit contre lui, avec une montée progressive vers la tyrannie et la folie, montrent clairement que, sans conscience et sans contrôle, Reed peut céder aussi (certes, parce que l'armure l'influence).


La tentation du contrôle absolu.

Sans être trop marquants, ces exemples illustrent le phénomène : Reed n'est plus la figure d'autorité absolue de l'univers Marvel, il n'est plus le meilleur des meilleurs, il n'est plus parfait, en soi. Mais, surtout, il n'est plus pleinement "bon" : par plusieurs touches, les auteurs montrent ses failles, et notamment la tentation du Mal ou de la prise de contrôle sur autrui, "car lui sait mieux".
Grant Morrison, dans son 1.2.3.4, ne dira pas autre chose, même s'il se perd en évoquant le fait que Doom puisse être une émanation de Reed ; et cela se poursuit dans l'un des plus grands runs de la série.

En effet, Mark Waid débarque alors sur le titre, et l'emmènera avec le trop regretté Mike Wieringo vers des hauteurs immenses.
Pas grand-chose à dire sur ce run si bien écrit, dessiné, pensé et amené - hormis que l'auteur poursuit le travail entamé par ses prédécesseurs pour désacraliser la figure d'autorité totale de Reed.


Mister Fantastic, la marque de l'échec et de la honte.

D'abord en montrant qu'il est battu par Doom sur un domaine, la magie (même si Richards finira par la maîtriser pour ses proches) ; ensuite, en montrant l'extrémisme qu'il peut s'accorder pour tenter d'obtenir ce que lui veut.
Reed, défiguré par Doom, ayant perdu Ben, est prêt à braver tous les interdits, et même à s'inspirer de la machine de Doom pour sauver sa mère des enfers, afin de ramener son meilleur ami. Plus jeune, Reed a déconseillé l'utilisation de cette machine, par des calculs instables mais aussi trop dangereuse ; Reed, vieux, n'a pas cette pensée quand il est touché dans sa chair (dans tous les sens du terme).

Si Waid fait en sorte que ça finisse "bien", notamment via la sublime rencontre avec le King, les faits demeurent, encore.
Reed, quand il est touché, peut et va trop loin ; il agit comme il le veut, car lui a raison, car il est le meilleur... et, en parallèle, ce statut est prouvé faux ; le personnage s'achemine alors vers une démythification bienvenue, mais qui hélas va aller bien trop loin.

***

Stracynski, McDuffie, Millar : l'homme de l'erreur et de l'échec.

Une période plus trouble s'ouvre pour la franchise, alors.
J.M. Straczynski restera un peu moins de quinze épisodes, avant d'être remplacé par Dwayne McDuffie, qui tentera de faire au mieux avec l'héritage de Civil War ; hélas, rien n'est franchement pertinent, et le personnage de Reed est particulièrement maltraité... ainsi que mal traité, hélas.

Les numéros de J.M.S. n'ayant, franchement, rien de vraiment intéressant dans leur ensemble, je préfère me concentrer sur la polémique de l'époque : le choix de faire de Reed le premier supporteur du camp pro-Registration dans C.W., avec la justification de Mark Millar que Reed préfère respecter la Loi que défendre des idéaux seul, en évoquant le destin terrible d'un oncle détruit par le McCarthysme.
Au-delà de l'irrespect de la continuité (Reed s'est régulièrement opposé aux Lois qui ne lui plaisaient pas), c'est bien le fait que le personnage apparaît désormais comme un lâche, un couard qui est dérangeant. Mais participe à sa plongée progressive vers l'abîme de la morale.


Mister Fantastic, premier héros Marvel, humilié comme ressort de plaisanterie.

Séparé, alors, de ses proches et de sa femme, il est exfiltré de sa série pour tenter de se "retrouver" avec sa femme. L'occasion de les remplacer par Black Panther & Storm, des passages sympathiques mais où, à leur retour, le coupe Richards ne brille pas non plus.
Reed a fauté, moralement, et on veut nous faire croire qu'un voyage en amoureux rachète tout ; l'équivalent du passage de Bill Clinton chez Nelson Mandela, pour se faire pardonner l'affaire Monica.
Heureusement, McDuffie a l'intelligence d'utiliser une autre justification pour le choix dans C.W., s'inspirant d'Asimov et essayant de sauver la bêtise de Millar ; il y réussit, au moins un peu.

"Heureusement", Mark Millar et Bryan Hitch arrivent et... non, je plaisante.
Le run du duo, qui a brillé sur Ultimates, est un échec, tant en termes de ventes que de retour critique. Long, lent, poussif, avec un graphisme en baisse, ce passage ne restera pas dans les annales, et illustrera surtout la méconnaissance de l'auteur sur le coeur même de ses personnages.
Reed y est transparent, mais les échecs s'accumulent encore, notamment face au Maître de Doom ; encore un pavé pour acter le fait que, définitivement, Reed Richards ne peut quasiment plus rien réussir.


Un Mister Fantastic en retrait.

Pendant des années, des décennies, Mister Fantastic était décrit comme celui qui réussit tout, qui peut tout solutionner ; montrer l'échec sur lui était une bonne idée - mais le faire accumuler les défaites, tant physiques que morales, devient lourd et fatiguant.
Mais la suite va confirmer ce constat d'erreur et d'échec, hélas pour le faire plonger, toujours.

***

Hickman, Fraction, Hickman encore : l'abandon des valeurs morales, le résultat qu'importe les sacrifices.

Je l'avoue directement : je n'ai pas lu le run de James Robinson sur les F.F., et je ne saurais pas dire ce qu'il a fait de Reed ; mais, le personnage ayant été écrit en parallèle par Jonathan Hickman dans New Avengers puis Secret Wars, son ultime apparition, je considère que le propos tient jusque-là.

Reprenons, donc.
Un peu avant la fin du run de Millar, le scénariste Jonathan Hickman écrit la mini-série Dark Reign liée aux F.F., un prologue et galop de chauffe avant son long run sur la série, à laquelle il joindra le titre Future Foundation.
Je le dis de suite : j'ai aimé ce qu'il a fait dessus, je suis client de son run ; mais, à posteriori, je suis en désaccord avec sa vision de Reed sur le long terme.

Dans son propos, Hickman fait de Reed un homme qui se croit le plus intelligent, mais qui n'est pas le meilleur ; qui veut bien faire, toujours, et pour tout... mais qui, du coup, va fauter.
Avec le Conseil des Reeds, Hickman livre une idée pertinente - où plusieurs Reeds se réunissent pour sauver le Multivers - et montre que, sans famille, Reed se perd et échoue ; pertinent et intelligent, je l'avoue, d'autant plus que le scénariste a l'intelligence de montrer que "notre" Reed a besoin de sa famille. Et que, sans eux, il ne peut rien réussir.


Reed transfiguré : plus le chef, le héros, le premier, mais intégré au groupe comme jamais.

Au sortir du run de Hickman, Reed apparaît "amélioré", "racheté" : certes, il a menti à ses proches, notamment en s'engageant à ne plus contacter les Reeds et en le faisant malgré tout ; certes, il a aussi manipulé ; certes, il s'est laissé avoir, notamment pour la mort de Johnny ; certes, il a échoué.
Mais il acte alors n'être pas le meilleur : il ne l'est qu'avec ses proches, sa famille ; il avance, donc. Il acte qu'il est très intelligent, mais que seul, il ne peut rien faire de bien et d'efficace - d'autant plus que c'est son fils qui sauve le Multivers, et pas lui.

Clairement, à ce moment-là, une nouvelle ère peut s'ouvrir : définitivement membre du groupe des F.F., où chacun peut mener et mène selon le besoin, où chacun a grandi, où chacun a le même niveau.
Il a intégré ses échecs, ses erreurs, et va de l'avant en les assumant, et en ayant réussi à se faire pardonner, notamment en laissant la main aux autres (avec Doom qui bloque les Célestes, avec Valeria qui dépasse son père).
Hélas, ça ne va pas durer.

Dès la reprise des deux titres par Matt Fraction, le Reed menteur et manipulateur revient.
Il apprend que les F.F. se meurent de leurs pouvoirs, et les emmène chercher une solution, sous un faux prétexte ; meh, comme disent les jeunes.
Dans des aventures qui se veulent inspirées de l'esprit Dr Who, mais très éloignées de leur réussite, Fraction se perd dans des intrigues poussives et longues. On s'ennuie, et ça ne passe pas.


Mister Fantastic éloigné des siens, un signe ? Okay, je surinterprète.

Alors que Jonathan Hickman avait fait avancer son personnage, passé de premier plan à intégrer pleinement au groupe, Fraction revient en arrière, sur une ligne plus dure, du savant arrogant et renfermé, sûr de lui et de pouvoir, seul, gérer les problèmes.
Dommage... d'autant plus que Hickman, qui va reprendre le personnage dans New Avengers puis Secret Wars, va poursuivre sur cette gamme ; et, littéralement, faire trahir ses idéaux au personnage.

Dans New Avengers, qui accueille les Illuminati (groupe de héros Marvel oeuvrant dans l'ombre pour empêcher le pire, manipulant leurs proches et amis pour cela ; un autre pavé dans la mare de Richards, lancé dans une époque où l'idée est que les héros Marvel mentent, trichent, s'affrontent, se manipulent car affronter des vilains était dépassé), ces derniers découvrent que les univers parallèles rentrent en contact, et se menacent tous. Seule solution : anéantir ces autres Terres quand elles viennent vers la leur, puis anéantir les Terres tout court, pour sauver leur monde.


Bonjour, nous sommes des héros. Merci de mourir rapidement.

Si la problématique est intéressante à poser, et s'il aurait été pertinent de voir réellement les "meilleurs" héros s'interroger sur ce qu'ils peuvent faire, quelles limites franchir et quand, le scénariste se fourvoie rapidement.
Captain America n'adhère pas ? On le lobotomise. On ne trouve pas de solution ? On détruit. On se perd dans les anéantissements cosmiques ? On continue. On s'isole des siens ? On ne dit rien, on n'explique pas, on est les meilleurs. On doit se justifier, on est accusés ? On continue, on est les meilleurs, si on ne réussit pas, personne ne pourrait.
Je synthétise grassement, mais c'est l'idée, et elle poursuit le fait que Reed se croie le meilleur ; s'il échoue, alors personne d'autre ne peut réussir. Ce principe est transposé aux Illuminati, et si elle est pertinente sur la psychologie des personnages, celle-ci est simplifiée pour épouser le grand projet de l'auteur.

Hickman, en soi, est passionnant dans ce qu'il raconte - si on ne regarde que le grand plan, pas les pions qu'il manipule pour cela.
Ses personnages causent des horreurs, sans réellement se poser de questions, sans réellement chercher d'autres solutions ; le pire est décidé vite, certes dans l'urgence, mais trop vite.


La barbe comme illustration de la plongée dans l'obscurité.

Hickman déroule son grand plan, jusqu'à Secret Wars. Doom y est le seul à avoir pu sauver ce qui reste car, plutôt que de détruire, il a voulu contrôler ; même si, à la fin, il est vaincu, parce qu'il est un tyran, le fond demeure pertinent.
Dans cette immense saga, Reed n'arrive pas à créer de solution et détruit ; Doom part des ruines pour créer.
Certes, cela est rapidement évacué car Doom est un vilain, qui agit comme tel, mais le message est clair. Le final de Secret Wars montre un duel très bien écrit (comme toute la saga d'ailleurs), où Reed bat Doom... qui admet que Richards aurait fait mieux que lui ; qu'il est meilleur que lui.


C'est moi le meilleur ! Non, moi !

Encore une fois, nous retombons dans l'idée que Reed Richards est le meilleur au monde, et qui impose même ce principe à son ennemi, aux autres. Cela se poursuit avec le fait que, maintenant, Richards devient littéralement le père du nouveau Multivers.
Voyez-vous où on arrive ?
Au début de ce billet.

En 1996, nous quittons le Mister Fantastic classique - le père de l'univers Marvel, le meilleur des meilleurs - que DeFalco a déjà affaibli, pour entamer une modification profonde, une démythification, qui culmine avec la fin du run de Hickman sur F.F., où le personnage est recréé.
Mais, à la fin de Secret Wars, Reed Richards redevient "le" meilleur, qui gère seul (S.W. est un duel à distance puis direct entre lui et Doom, les autres personnages ne sont que des pions ou des accompagnateurs), et qui devient le "père" de tout le Multivers Marvel à venir.

En soi, on pourrait considérer que, en quasiment vingt ans, le personnage a suivi un cycle, et est revenu à la base ; sauf que.
Sauf que, entre-temps, Mister Fantastic a sacrifié ses valeurs morales, pour cela. Au-delà de ses mensonges, tromperies, égocentrismes et abus, il y a le fait que, sous Hickman, il est "le" meilleur, mais il n'hésite pas à détruire quand il ne trouve pas de solution.
Il est "le" meilleur, oui ; mais il n'est pas un "bon" meilleur, il est un meilleur qui accepte la tentation du Mal, qui décide de gérer car lui seul sait.

En moins de vingt ans, Reed Richards est passé de la figure du père et du meilleur, dans une acceptation sympathique et bon enfant, old school et conservatrice, mais fondamentalement bonne ; à la figure du père et du meilleur, oui, mais dans une vision bien moins agréable.
Egocentrique. Agressif. Qui n'accepte pas la contradiction. Menteur. Manipulateur. Destructeur. Tueur.
Voilà ce qu'est le Richards de Hickman, à la fin de S.W., et qui est en charge du Multivers. Le fait qu'il sauve le Multivers d'un Doom encore pire le rend, évidemment, héroïque... mais loin d'être sans faille.

***

Que dire, en conclusion ?
En dix-neuf ans, Reed Richards a énormément évolué. Si les années 70 ont permis à Ben Grimm de gagner en puissance et en maturité, si les années 80 furent celles de Sue (notamment grâce à Byrne), si les années 90 permirent à Johnny Storm de grandir (notamment à l'époque de la Fantastic Force), les années 2000 ont été celles de l'avancée de Reed Richards.

Tombé de son piédestal, rempli de doutes, d'échecs et d'erreurs, il a réussi, sous Hickman, à se moduler, à se fondre dans son groupe, et à s'intégrer pleinement.
Hélas, le même auteur s'est perdu, en voulant raconter un grand projet, en maltraitant complètement ses personnages, et notamment Reed Richards, qui ressort assombri de cette immense saga.

A nouveau figure paternelle, à nouveau meilleur des meilleurs, il n'a plus rien de l'homme bon et gentil ; au contraire, il est celui dont on peut et doit se méfier, le savant dit autiste, car très renfermé, sûr de lui, incapable de communiquer - et guère loin du savant fou, qui menace autant qu'il impressionne.
En ce sens, la transition est parfaite pour l'élément qui illustre le mieux cet aspect : The Maker, le Reed Richards Ultimate, transformé par Brian Bendis en scientifique dément et agressif, qui impose son avis et tue pour cela.


Le savant fou.

Déjà utilisé comme tel par Hickman dans Ultimate Comics Avengers, il s'est retrouvé dans l'univers Marvel, et est ce monstre dément et incontrôlable. Mais, plutôt que d'être le reflet déformé de Reed Richards, il apparaît, au fil de l'évolution de l'original, comme la prochaine étape de ce dernier.

Cependant, après Secret Wars, les F.F. ont été mis de côté, et plus particulièrement les Richards.
Influence éditoriale ? influence cinématographique ? je pense plutôt qu'il faut voir là l'envie de mettre de côté un titre qui ne vendait plus, et préparer son retour par le buzz ; Marvel n'a pas fait autrement pour Thor, tué par Oeming dans Ragnarok avant d'être ramené quelques années après par Straczynski.
En outre, cela a permis, en plus de créer le manque, de faire une pause, une coupure... et d'espérer un retour, véritable, sur de meilleures bases.

Dan Slott est arrivé il y a quelques jours sur un nouveau volume de Fantastic Four - et on attend encore sa vision de Reed, même si, par un dialogue, je crois lire un Richards moins suffisant et sûr de lui ; mais peut-être que je me fais des illusions, même si Slott ne m'a pas déçu (sur Spider-Man, malgré une irrégularité inévitable dans la qualité) et me passionne sur sa reprise d'Iron Man.

De quoi sera fait l'avenir de Mister Fantastic ?
Je l'ignore... mais, en soi, j'aimerais ne pas avoir de réponse ; j'aimerais ne pas découvrir quel est l'avenir de Reed Richards - car j'aimerais seulement connaître l'avenir des F.F., où les personnalités seraient intégrées pleinement au groupe, à égalité, et sans "meilleur" ou figure tutélaire.

Un fan de la première heure, qui préférerait nier l'avenir d'un personnage seul pour qu'il coule uniquement dans le collectif ? Impossible, me diriez-vous !
Non, répliquerais-je. Ce serait... fantastique.


Vers l'infini... et au-delà ! (et la qualité, on espère)

Dernière modification par Ben Wawe ; 11/08/2018 à 19h15.
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