Discussion: Hypocalypse
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Vieux 16/12/2004, 00h13
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gillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le TireurgillesC vise plus juste que le Tireur
Chapitre 1
Le Peuple des Abysses


C’est un fait : Il n’existe quasiment aucun témoignage de visions d’OVNI ou d’abduction extraterrestre lors de journées pluvieuses.
On peut donc en déduire que des êtres capables de voyages interplanétaires ne savent pas voler par temps couvert.



La demeure baptisée Mon Œuvre, sise à mi-pente de la route vers Beaumont, constituait la plus belle incongruité physique de Saint-Moulart, supermarché et troisième âge compris. Elle était plantée en plein milieu d’un grand terrain carré, lisse et vierge d’arbre, et avait tout d’un décor de film post-apocalyptique, si l’on parvenait à faire abstraction des centaines de semis de salade qui l’assiégeaient de toute part.

C’était une tour de Pise de dix mètres de haut, d’allure assez totalitaire. Son plan au sol évoquait sans honte une demi-svastika. Engendrée par la superposition de trois étages, elle offrait douze pièces habitables, dont aucune n’était assez grande pour accueillir un lit de 2 mètres. De loin, les touristes la confondaient donc avec un transformateur EDF monté en graine, dont elle imitait les murs blêmes de beige graveleux. Ce n’était pas beau. De quelque coté qu’on la regardât, on pouvait donc admirer de longues façades tristes et étroites, ornées de peu de fenêtres et d’aucun balcon. Un pylône téléphonique en béton pouvait offrir plus de charme.

Mon œuvre était celle Javier Costa. Il avait quitté Saragosse pour la Saône et Loire en 1922, en quête d’exotisme pécuniaire. Comme il était bon maçon et camarade, la campagne dépeuplée de l’après-guerre l’avait fort bien accueilli. Comment il avait pu économiser toute sa vie sur ses maigres moyens pour acquérir de la terre et y construire pareil chef-d’œuvre d’architecture était par contre au-delà des compétences logiques des voisins. La fière énigme dura donc jusqu’à la mort de Javier dans l’autre conflit mondial, où il eu néanmoins le temps de découvrir en Maginot un frère artistique. Les héritiers de Costa, dotés par contrepoint d’un goût moins original, se hâtèrent de louer la chose à toute personne suffisamment instable ou asociale pour y résider.

Dans le Saint-Moulart calme et transparent du début du vingt et unième siècle, personne n’aurait pu mieux s’accorder à ce lieu qu’Edmonde Rachin.
Si, dans son activité professionnelle de peseuse de légumes au SuperVente du village, Edmonde transpirait le néant et l’insignifiance par tous ses pores, elle ravalait la majorité des Molartais au rang d’amibes pour ce qui était de la vie privée. Edmonde (Ed l’épicière, comme l’appelait son chef de rayon, qui avait vu Paris) était en effet la femme la plus croyante du bourg. Née au début des années soixante, elle n’avait pourtant plus la Foi depuis une dizaine d’années, lorsqu’elle avait commencé à entrevoir toute sa vie derrière carottes et navets.
A dix-huit ans, elle s’était enfuie de ses chez ses parents, ivre d’angoisse et de liberté, et, grâce à l’appât du confort obligatoire, fut capturée dans les filets de la grande distribution.
Dix ans de néant prolétaire anéantirent jusqu’à l’idée d’espoir. Elle laissa se diluer toute idée romantique, même dans des acceptions réalistes. Toute personne, y compris elle-même, finissait par ressembler aux légumes de son étal. Ces quelques mois de sombre lucidité ne durèrent évidemment pas. A son insu, le cerveau d’Edmonde cherchait un puits apaisant dans lequel se jeter.

Comme souvent dans la vie, il se matérialisa sur son lieu de labeur, puisque l’affligeant rayon livre du SuperVente n’était qu’à quinze mètres des produits maraîchers, à vol de mouche. Ed ne supportait certes plus la littérature harlequine, et n’achetait à l’occasion que quelques romans historicocuculs. C’était dire si rien ne l’avait immunisée contre l’ouvrage qu’elle attrapa sans but ni méfiance : sur une couverture bleu nuit coulant au noir dans la partie supérieure, de hautes lettres blanches proclamaient :
Ils sont là
Quinze histoires authentiques de rencontres du troisième type, par Paul Bellefontaine.


Edmonde, qui n’avait même jamais rencontré le second type, tourna le pavé entre ses mains, puis l’acheta sans songer à le voler.
Elle était faite.
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Il est impossible de faire comprendre quelque chose à quelqu'un
si son niveau de vie dépend directement du fait qu'il ne la comprenne pas.
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