Discussion: Le festival retro !
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Vieux 24/06/2010, 00h52
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Marie_ Marie_ est déconnecté
Super Héros qui fait du ciné
 
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Marie_ change la caisse du Fauve
Tarzan de l'âge d'or - 2ème partie: Burne Hogarth



Nous sommes en hiver 1936 et le grand Hal Foster veut arrêter Tarzan. Plus de huit ans déjà que son crayon a donné vie pour la première fois à ce magnifique style réaliste d’un des premiers comic qui n’est pas comique et il en a marre de s’échiner à améliorer des scénarios crétins pondus par deux rigolos (Carbin et Laas) pour un primitif en pagne. Il a créé, innové et même révolutionné le monde du strip, mais maintenant il rêve d’un petit projet perso qui va l’occuper quelques années : Prince Vaillant.

Evidemment pour l’United Features Syndicate qui doit fournir chaque semaine la prestigieuse Sunday page tout en couleurs à plusieurs dizaines de journaux, c’est la cata. Qui pourrait prendre la relève d’un artiste comme Foster ? Alors ils organisent un casting pour trouver la perle rare capable d’imiter le plus possible le style du maître.
Parmi les douze candidats qui se présentent il y a un petit jeunot de 25 ans pas du tout intimidé par l’immense respect qu’il éprouve pour le talent de son aîné. D’abord parce que c’est un défi fort excitant et que Burne Hogarth n’est jamais intimidé, ensuite parce qu’il possède déjà une solide expérience. A quinze ans il était assistant d’un cartoonist, à dix-huit il travaillait sur son premier strip et à vingt-deux il enseignait déjà dans trois institutions.
La planche test qu’il remet au rédacteur en chef est tellement bluffante que ce dernier la fera imprimer en mai 1937 sans prévenir le responsable qui n’y verra que du feu.

Planches 320 et 321 (Tarzan dans la cité de l’or – 1937)
A gauche la dernière planche de Foster suivie de la première d’Hogarth (mais signée Foster)

Désormais il lui faut assimiler les techniques de son illustre prédécesseur et ses premiers travaux sont sages et appliqués, après tout c’est pour ça qu’on le paye. Mais la personnalité créative et bouillonnante du jeune auteur fume des naseaux et frappe du sabot. Pour commencer il veut profiter de l’espace offert par la pleine page en bousculant le gaufrier onze/douze cases traditionnel. Au départ il se contente de jouer avec la disposition ou la dimension de deux ou trois vignettes, mais par après ses planches deviennent de véritables compositions globales ou la lecture s’organise en axes dynamiques multipliant les angles de vision dans une grande mise en scène aussi puissante et fébrile que les muscles de son héros. Car si le Tarzan souriant de Foster respirait l’équilibre et la force tranquille, le sien est sombre, tendu et perpétuellement sur le qui-vive tel un animal vivant en symbiose avec une nature déchaînée. Volcans qui explosent, torrents rugissants, végétation triomphante et bêtes féroces, c’est une lutte de chaque instant pour le seigneur de la jungle et un régal pour les petites mirettes du lecteur.

Deux exemples en N/B pour mettre en évidence l’aspect « gravure » du magnifique dessin d’Hogarth souvent éclipsé par des couleurs baveuses et flashy.

C’est dans "Tarzan et le peuple du feu et de l’eau" (1940-1941) qu’Hogarth commence à donner sa pleine mesure.
Admirez le travail. Ce comic est paru début 1941 !

Soyons clairs, de nos jours on ne peut qu’être atterré devant la kitscherie absolue d’histoires proposant joyeusement des facilités à la pelle, des pépites d’absurdités et des chapelets de naïvetés. Mais à l’époque on se fichait bien de la logique et de la réflexion, seuls comptait l’action, l’émotion brute et le sentiment de liberté. Ce sont des sagas, des contes, du rêve éveillé, le royaume de l’imagination qui avait le devoir de dépasser les limites d’une réalité déplaisante.
Quand en 1942 Hogarth obtient le droit d’écrire ses propres scipts il y rajoutera son goût pour le fantastique. En plus des nazis, des vikings et des cannibales, les lecteurs de 156 journaux se régaleront alors de vallées mystérieuses peuplées de dinosaures ou de cités perdues remplies de singes mutants et de grosses têtes sans pattes. Mais l’auteur avoue lui-même que le sujet l’intéresse moins que son expression. "Je n'ai jamais vraiment été attiré par la simple linéarité d'une histoire. J'ai beaucoup plus cherché à exprimer la vitalité latente"

Ce qui sous-entend aussi un érotisme latent que dégagent les mouvements du corps nu de l’homme singe dans un environnement exacerbant les sensations physiques. Surtout qu’il est régulièrement accompagné de femmes superbes qui se pendent à son cou ne pouvant résister à son magnétisme animal. Mais Tarzan ne touche pas à la femme, Tarzan est pur. Il ne consomme jamais rien d’ailleurs, ni viande ni alcool et encore moins de belles plantes.


En faisant des recherches sur l’exposition "Tarzan ou Rousseau chez les Waziri" qui s’est déroulée l’année passée à Paris, je suis tombée sur les commentaires d’un Didier Pasamonik n’appréciant visiblement pas Hogarth. Son habituel jugement superficiel n’étonnera personne, mais il peut être utile pour tenter d’expliquer certaines incompréhensions à propos de cet auteur.

"On ne peut être que séduit par le classicisme et la douceur du travail de Foster qui ridiculise le plus souvent par sa justesse le travail emphatique, ampoulé et presque toujours erroné de Burne Hogarth.
Un dessinateur que des critiques imprudents ont surnommé « le Michel-Ange de la bande dessinée, ce qui est une insulte, et pour Michel-Ange, et pour la bande dessinée. Certes, certaines planchent en « jettent », mais quand le « Michel-Ange » est peu appliqué (presque toujours), cela donne des images vraiment médiocres, en dépit de leur caractère prétentieux."


Cette évocation de Michel-Ange ne vient pas au départ d’une comparaison stupide des talents respectifs des deux artistes, mais du maniérisme dont s’inspire Hogarth. Ce dernier est un homme cultivé possédant une formation artistique complète. Il connaît et aime ce courant artistique fin de renaissance juste avant le baroque, et celui-ci semble convenir à merveille à la bande dessinée et à ce thème en particulier.

Quelles sont les caractéristiques de ce maniérisme largement influencé par les oeuvres de Michel-Ange? (Merci au site edelo.net)
- Une exagération des formes et une déformation des corps. La torsion en forme de S (figure serpentina) est particulièrement appréciée.
- Une recherche systématique du mouvement, un sens de la tension.
- Des tons acides et crus. (Vive la colo de l’époque ^^ )
- Une grande place est donnée à l’expression, à l’art dramatique.
- Des codes, des symboles, des références aux artistes et œuvres classiques.

Comme ceci par exemple :

Tarzan contre Don Macabre (1944) – Guerre dans le désert (1942) – Tarzan sur l’île de Mua-Ao (1948)
A gauche vous pouvez voir une superbe crucifixion, suivie d’une mise au tombeau (Piéta). Et pour finir, plein de S tordus et dynamiques comme il faut. Ces exemples sont évidents, mais tout le travail d’Hogarth est truffé de références aux grands maîtres.

Peut-être est-ce difficile pour ce Monsieur Pasamonik d’imaginer que le dessin réaliste, malgré toutes ses qualités, ne soit pas la seule voie d’expression ? Hogarth choisi délibérément l’optique irréaliste, cherche le déséquilibre dans le geste, dramatise ses poses et favorise la représentation symbolique de la nature.
… "La réalité était pour moi trop étroite. Par exemple, quand je dessinais une silhouette, l'élan cinématique que je ressentais était parfois si intense que je désespérais de l'exprimer avec autant d'énergie, de vitesse, et de puissance que je l'aurais voulu. Quelquefois même, une silhouette jaillissait de moi, d'une façon si paroxystique qu'elle aurait dû en être complètement disloquée. Grâce à Gréco et Michel-Ange, je suis parvenu à comprendre cette étrange sensation. Devoir se contenter d'agir avec un crayon, là où il aurait fallu en réalité briser des obstacles et anéantir des ennemis, cela a de quoi vous faire grincer les dents avec une furie difficile à contenir. Cette expression d'agressivité, ou si l'on préfère, cette recherche de la violence du mouvement constitue l'essentiel de mon oeuvre."

Foster avait fait un fabuleux travail de défrichage, Hogarth a poussé l’inspiration toujours plus loin. Son enseignement a modelé les plus grands auteurs de comics de l’âge d’argent et d’une certaine manière, il défini encore le genre superhéroique d’aujourd’hui.
Après avoir arrêté la série fin 1945, il la reprendra en 1947 pour l’abandonner définitivement en 1950 suite à un différent commercial avec son éditeur. Est-ce le regret de ne pas être allé au bout de son exploration ? Toujours est-il qu’il reprit le personnage en 1972 et 1976 pour illustrer deux histoires fidèles aux romans cette fois : Tarzan of the apes et Jungle tales of Tarzan. Deux petits bijoux de la maturité.
Tarzan, né en 1912 sous la plume de Burroughs, en 1918 devant la camera et sous le pinceau de Foster en 1928, est le père de tous les super héros. Son incarnation a légué à Superman son esprit protectionniste et une mèche sur le front, à Batman sa misanthropie et ses lianes, et à toute la famille des encapés ses singes et son slip. .

Et comme disait l’autre à propos de Burne Hogarth: "Yes, he was egocentric, but -- damn, he was good!"


Merci à Tarzanduweb pour son excellente analyse et à erbzine pour sa très intéressante interview

Dernière modification par Marie_ ; 24/06/2010 à 01h00.
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