Dans le cochon tout est bon, même les références littéraires.
Bill Willingham l'a bien compris et quand il utilise les
trois petits cochons dans
Fables il ne se gène pas pour insérer des clins d'œil aux œuvres de
George Orwell et
William Golding. Mais ne s'éloigne-t-il pas trop du concept de sa série qui nous parle de personnages de fables? Si non, en quoi la série éponyme est-elle apparentée à
Sa Majesté des Mouches et à
la Ferme aux Animaux?
Beaucoup de lecteurs s'accordent à dire que la série
Fables telle qu'on la connait et qu'on l'aime a vraiment commencé à partir du deuxième arc. Le premier, outre nous présenter les personnages principaux, n'était en somme qu'une simple enquête policière, un
whodunnit comme on les appelle où le principal intérêt est de découvrir qui est l'assassin et quel est son mobile.
Le deuxième arc étoffe la mythologie de la série,
Fabletown est mis un peu de coté et l'attention est portée sur la ferme où vivent les Fables qui n'ont pas d'apparence humaine. Pour des faits qui lui sont reprochés, Rose Red est exilé à la ferme afin d'effectuer des travaux d'intérêts généraux. Nous sommes sur un forum de comics, je suppose que ces faits sont connus de la plupart de ses membres. Cela dit je ne pense pas que tout le monde ait lu
Sa Majesté des Mouches et la
Ferme aux animaux, ainsi je vous propose des petits résumés de ces œuvres pour que tout le monde ait les clefs en mains pour la suite de cet article.
Avec
Sa Majesté des Mouches (Lord of Flies) William Golding nous raconte l'histoire d'un groupe d'enfants et pré-adolescents coincés sur une ile suite à un accident d'avion. Seuls au monde, ils vont devoir redéfinir les règles et les besoins d'une société. Ainsi un chef sera désigné, son autorité contestée, des camps vont se former avec d'un coté ceux qui veulent alimenter un feu avec une fumée épaisse pour se faire secourir et d'un autre un groupe de chasseurs va concentrer toute son attention autour de la chasse au cochon. Le porcidé est aussi au centre de la
Ferme aux Animaux (Animal Farm) de
George Orwell. Dans cette critique de la révolution bolchévique,
Lénine,
Staline et
Trotsky ont un groin et une queue en tire-bouchon. L'auteur Britannique nous dépeint les espoirs qui sont à la base d'une révolution, les torts et les travers des anciennes autorités qui deviennent ceux des meneurs du grand soir. En fait si le cochon est le point commun évident entre ces deux œuvres c'est que depuis longtemps dans le bestiaire de l'imaginaire collectif il est de ces animaux associé sans difficulté avec l'Homme. C'est avec tout ce background que Willingham a décidé d'articuler le deuxième arc de sa série à succès chez
Vertigo.
On pourrait croire qu'il soit tombé dans le hors sujet car Orwell et Golding sont des auteurs de romans, ou le sont-ils vraiment? Il existe des myriades d'articles qui associent les deux œuvres, et à chaque fois le même terme revient: ce sont des fables. Pour l'admettre il faut se pencher sur la définition de celles-ci. On reconnaît une fable à plusieurs caractéristiques, notamment la présence d'une morale et l'usage d'anthropomorphisme. Si c'est évident dans la Ferme aux Animaux ce l'est un peu moins dans Sa Majesté des Mouches. Et pourtant dans ce dernier il y a ce personnage de
Piggy, le seul dont on ne connait que le surnom, il y a ces rituels où les chasseurs jouent à la chasse et où fatalement un des leurs prend la place du cochon et surtout cette truie dont la tête a été plantée sur un pic et qui dans un moment où la folie et la raison se confondent annonce une prophétie de mort et de désastre, personnage qui donne son nom à la fable. Voilà réglée la légitimité de trouver des hommages à ces deux monuments de la littérature dans les pages de Fables. Willingham ne prend même pas la peine de les camoufler, comme le prouvent les répliques des personnages quand la tête de
Colin est retrouvée ou quand
Boucle d'or explique le message qu'elle veut faire passer. De plus cet arc qui s'étale du numéro 6 au 10 s'intitule
Animal Farm et le quatrième chapitre
Warlord of the flies. Autant de clin d'œil et d'hommages tout du long de cet arc, un dernier exemple est la scène de concertation entre les animaux de la ferme qui est présidée par les cochons, véritable miroir de l'originale dans la fable de Orwell. Enfin sur le fond, Animal Farm, Lord of the Flies et le deuxième arc de Fables abordent le même thème. Celui de la possibilité d'un nouveau départ qui est gâché par les envies d'égos surpuissants. Seul Fables se démarque par une touche d'optimisme, même minime quand on fait le compte des tombés pour une cause bafouée, avec Rose Red qui commence une route sinueuse vers la rédemption.
J'invite tout le monde à découvrir ou redécouvrir ces œuvres. Leur portée est encore grande de nos jours et c'est en partie ce que Willingham a voulu prouver à travers le deuxième arc de Fables. On vit une époque où en transplante le cœur du cochon à l'homme mais cela fait longtemps que le conteur a mis l'esprit de l'homme dans le corps du cochon.