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wildcard 19/01/2016 18h45

Short story project
 
Chers Buzzukis,

Je viens vous proposer un projet qui me tient très à coeur et auquel, je l'espère, vous serez nombreux à participer.

Chaque vie est une histoire, chacun de nous a vécu ou connaît une histoire. Faisons en sorte que nos histoires forme ce grand projet. L'expérience à laquelle je vous invite n'est pas une idée de mon invention, elle m'a été inspiré par cet ouvrage :


JE PENSAIS QUE MON PERE ETAIT DIEU (et autres récits de la réalité américaine" est une anthologie composée par l'écrivain Paul Auster, publiée en 2002 par les éditions Actes Sud (et disponible depuis en Livre de Poche).


L'origine de cette anthologie remonte à Mai 1999 quand Auster a été invité dans l'émission de la radio NPR, Weekend all things considered animée par Daniel Zwerdling où il était invité à parler de son métier de romancier et à lire une de ses histoires.
Zwerdling demanda à Auster de revenir régulièrement proposer des lectures d'histoires de son invention, mais s'estimant incapable d'une telle production, Auster déclina.

La femme du romancier, Siri Hustevdt, elle-même écrivain, suggéra alors à Paul Auster de demander aux auditeurs d'écrire eux-mêmes des histoires et des les lui envoyer. Il sélectionnerait les meilleures et les lirait à l'antenne.

C'est ainsi qu'à partir de Septembre 1999 débuta le National Story Project. Auster composa l'anthologie intitulée Je pensais que mon père était Dieu (et autres récits de la réalité américaine, après avoir reçu plus de 4 000 textes en provenance de 49 Etats américains et en avoir retenu 172 pour le livre.

L'ouvrage est découpé en dix thèmes : Animaux / Objets / Famille / Slapstick / Inconnus / Guerre / Amour / Mort / Rêves / Méditations .

Les histoires doivent répondre à quelques règles :

- elles doivent être vraies et brèves,
- il n'y a pas de restriction de sujets ou de style, dans un registre grave ou léger, comique ou dramatique,
- ces récits ne sont pas conformes à ce que nous attendons de l'existence, ce sont des anecdotes révélatrices des forces mystérieuses et ignorées qui agissent nos vies, nos
histoires de famille, dans nos esprits et nos corps, dans nos âmes. Ce sont des histoires vraies mais aux allures de fiction.

"Il peut s'agir de gaffes burlesques, de coïncidences déchirantes, de frôlements avec la mort, de rencontres miraculeuses, d'incroyables ironies, de prémonitions, de chagrins, de joies, de rêves". (Paul Auster)

Je devine que certains penseront n'avoir pas de talent d'écrivain et donc ne pas être capables de participer à ce projet. Je réponds qu'il ne s'agit pas d'un concours : il suffit juste de raconter, avec ses mots, en toute honnêteté, en toute sincérité, une histoire vraie, personnelle, et brève. Tout le monde connaît une histoire, en a vécu, chaque histoire est digne d'être racontée et les raconter est plus important que les raconter avec style.

Réfléchissez à cette idée. Postez votre histoire ici (je la republierai dans un blog que je vais créer spécialement, et je n'en ferai aucun commerce). Signez votre histoire de votre vrai nom (si vous ne souhaitez pas que votre vrai nom apparaisse dans ce sujet puis sur le blog, précisez-le moi par un MP), en ajoutant l'endroit où vous vivez (ainsi ces histoires seront cartographiées).

Ce sera ludique, passionnant, enrichissant - un autre moyen de faire vivre notre communauté.

Voici l'adresse du blog : http://short-stories-project.blogspot.fr/

Merci d'avance.

P.S. : voici la critique que j'ai écrite de ce livre : http://mysterycomics-rdb.blogspot.fr...-mon-pere.html

Ben Wawe 19/01/2016 21h38

C'est une bonne idée et une bonne initiative. J'en serai.

doop 19/01/2016 22h20

count me in

Thoor 20/01/2016 00h01

J'en suis !!!

Yaneck 20/01/2016 12h18

J'en serai sans nul doute aussi, je reste attentif.

wildcard 20/01/2016 18h43

Merci les gars.

Les autres, n'hésitez pas à vous joindre à cette aventure !

effixe 24/01/2016 20h42

Alors, comment ça se passe ?

Ben Wawe 24/01/2016 20h59

Mon texte arrive dans les prochains jours, je dois le relire.

doop 24/01/2016 21h16

je vais essayer d'en faire un pour la semaine prochaine

Yaneck 25/01/2016 00h51

Ah, ça y est, j'ai mon sujet "animaux". Je pense que j'aurai le temps de poser ça la semaine après Angoulême.

Thoor 25/01/2016 09h39

Voici mon texte 'historique' sur mon grand pére maternelle.
Bonne lecture

Citation:

PEPE de RAMON

Le soleil chauffait ses larges épaules et chassait les dernières brumes matinales qui montaient encore des champs fraichement fauchés. Il avançait à grandes enjambées, tout en fredonnant une chanson. C'était une chanson de village, apprise il y a peu avec les filles de la ferme. Ils s'étaient tous bien amusés à s'apprendre mutuellement des rudiments de leurs langues respectives. Lui et ses compagnons prisonniers de guerre français et, elles, filles de ferme allemandes, cachés dans une grange à l’abri des regards et de la chaleur de ce moi de septembre 194X.

René chantonnait dans l'espoir d'améliorer cette langue qu'il appréciait de plus en plus, et tant pis pour la guerre. Depuis son transfert depuis le Stalag IV pour cette ferme, il découvrait un peuple bien éloigné des préoccupations guerrières de ses dirigeants. De plus il avait la chance de pouvoir rejoindre, seul, la forge du village afin d'y exercer son métier. Alors si ce n’étaient le manque de nourriture et l’inquiétude liée à sa famille restée en Dordogne, il pourrait se dire heureux.
Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas l'enfant tomber à l'eau. C'est en passant à côté de la marre aux canards, qu'il perçut les cris de détresse et vit les gestes désespérés du garçon pour rejoindre la berge. Bien que ne sachant pas nager, René sauta à l'eau en comptant sur sa grande taille pour avoir pied. Il attrapa l'enfant par le col et le jeta sur l'herbe. L'enfant parla trop vite pour être compris par le français, puis s'enfuit sans un regard en arrière.
René se issa seul sur la berge et y resta trempé et surpris. A la vu de la canne à pêche abandonnée dans l’herbe, il comprit que l’enfant avait glissé en cherchant de quoi améliorer l’ordinaire.
Il haussa ses épaules et se hâta vers le village ou le forgeron l’attendait. Il allongea le pas, heureux de se réchauffer et soucieux de ne pas être en retard.
La journée passa rapidement dans la chaleur bienheureuse des fers chauffés au rouge et dans le martellement des marteaux frappant l’enclume.
A midi, avantage suprême sur ses autres compagnons d’infortune, René put manger à sa faim. En effet, la femme du forgeron portait tous les jours un panier rempli des repas de son mari et du prisonnier. C’étaient des mets simples, mais roboratifs, cuisinés avec un certain talent. Une fois par semaine, il pouvait même manger un peu de viande.
[IMG]file:///C:\Users\SEBAST~1\AppData\Local\Temp\msohtmlclip1\ 01\clip_image004.gif[/IMG]La jeune femme désirant parler à son mari, le périgourdin sortit dans la cour et finit son repas seul. Dans la forge la discussion semblait des plus animée, les éclats de voix se succédaient à un rythme effréné. Enfin la jeune femme sortit en courant et disparut rapidement. René n’eut que le temps de voir des larmes perler ses yeux bleus. Le travail reprit dans un silence pesant.

Quelques jours passèrent, et par un matin frisquet les français furent réveillés sans ménagement. Des soldats allemands encadraient les hommes, sans être menaçants leurs fusils à portée de mains suffisaient à les inquiéter. Ils murmurèrent entre eux « Est-ce que les schleus ont vu les filles ? », « Putain, si ils nous renvoient au stalag, je tente l’évasion », « Déconne pas, tu vas nous faire tuer. »

_SILENCE ! hurla l’officier. Resté au chaud à l’intérieur de sa voiture les prisonniers ne l’avaient pas vu.

Il sortit lentement, laissant la peur figer les visages des hommes. Ses bottes noires brillaient, son uniforme repassé, sa casquette portée réglementairement, il n’était pas là pour plaisanter.

_ Sont-ils tous ici ? demanda-t-il. Un soldat acquiesça rapidement. L’officier sortit un papier de la poche intérieure de son uniforme et en lu plusieurs fois le texte avant de lancer :
_ Bien, j’appelle DUDREUIL RENE !
Flottement parmi les prisonniers, puis l’interpellé fit un pas en avant.
Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, René aurait put facilement dominer de la tête et des épaules l’officier. Il préféra garder la tête basse et un air contrit de circonstance.
_ Soldat 2eme classe DUDREUIL RENE de la 4eZ, vous avez bien agi.
Stupeur autant parmi les français que parmi les allemands, un murmure parcouru les rangs et s’éteignit sous le regard menaçant de l’officier.
_ Vous, un ennemi, un prisonnier, vous avez sauvé la vie d’un enfant. Pour cela l’Allemagne souhaite vous récompenser.
Même si ses yeux noirs démentaient ses propos amènes, le SS accrocha une petite médaille argentée sur le revers de la veste grise du captif.
Des hourras se firent entendre parmi ses compatriotes tandis que les soldats allemands qui parlaient français traduisaient.
Jaillissant d’un coin de la cour, l’enfant se précipita dans les bras de son sauveur. Les parents, eux, n’osaient s’approcher et restèrent à demi cachés à l’angle d’un mur. René plongea son regard dans celui de l’enfant, préférant la candeur au regard noir de l’officier SS.

Ben Wawe 25/01/2016 11h13

Quel beau texte.
Simple, percutant et positif.

Merci.

Thoor 25/01/2016 12h01

:merci:

Yaneck 25/01/2016 13h20

Superbe histoire, j'adore! ^^

Butters 25/01/2016 13h29

C'est effectivement un excellent récit!
Bravo et merci pour le partage!

Ben Wawe 25/01/2016 13h32

A mon tour.
J'ai suivi la règle de rédiger, comme une fiction, une anecdote de mon existence. Cette dernière est récente, et remue encore beaucoup de choses chez moi. A bien des égards, ce texte est une catharsis, nécessaire après des moments très difficiles.
Bonne lecture.

La voie de mon père

Le curseur de ma souris va et vient sur le gros bouton « Confirmer l’achat » d’Amazon. Comme à chaque fois que je suis sur mon canapé, je me place dans une position biscornue : accroupi, l’ordinateur portable sur les genoux, la main gauche sous mon menton pour tapoter mes lèvres avec mes doigts, l’autre main sur le Pad… j’hésite. Le panier contient deux articles, pour un total de trente euros et quelques ; trente euros qui me serviraient à des achats bien plus essentiels. Le mois n’est pas encore terminé et la somme sur mon compte est déjà bien faible.
Mon regard se pose sur les deux articles, deux sets de construction Lego avec les mini-figurines que je veux depuis longtemps ; je pense aux prochaines courses, à la facture d’électricité qui vient d’arriver. Je soupire et je relève les yeux pour les poser devant moi, dans le vague – avant qu’ils ne se posent sur le visage de mon père, juste entre le canapé et la télévision.
Je le fixe quelques instants, silencieux. Et j’appuie finalement sur le bouton d’achat, avant de refermer le clapet de l’ordinateur.
- J’ai toujours aimé les Lego, moi aussi, mais pas ceux-là. Plus les Lego Technic : les tours, les voitures, plus gros que les Lego normaux. Je n’ai jamais aimé les bonhommes, mais je sais que tu les as toujours préférés. C’est pour ça que je t’en prenais, et que je me réservais les dimanches avec toi. Pour monter et jouer.
La voix de mon père résonne dans mon salon, se répercute sur les murs et la baie vitrée. Je baisse les yeux en silence, et fais le tour du canapé pour me diriger vers le couloir. J’y récupère mes grosses bottines, avant de m’asseoir sur une chaise pour les chausser. Mon père continue derrière moi, du ton lent et grave qu’il utilise quand il évoque ses souvenirs. Le même qu’il utilisait le soir pour me raconter une histoire ; j’ai toujours aimé ce ton.
- Je n’étais pas beaucoup là, avec le travail, les réunions, mais les dimanches, c’était sacré. Tu te souviens ? On montait dans ta chambre, on utilisait les grandes plaques grises, et on montait dessus… enfin, je montais. Je piochais dans ta grande malle Lego et Playmobil, et je montais des bâtiments, des villes. Des ports, surtout, tu as toujours aimé les pirates. Et tu me regardais, tu m’aidais un peu, mais tu jouais surtout avec tes figurines. Pour être franc, tu me pressais même, parce que tu trouvais que je n’allais pas assez vite… et quand j’avais fini, tu jouais sur les plaques. Tu attaquais le port que j’avais construit avec ton navire pirate. Et je jouais avec toi, je faisais la victime.
J’enfile mon manteau d’hiver, mon écharpe, mes gants. Je vérifie une dernière fois que je n’ai rien oublié, j’hésite à emmener ma sacoche avant d’y renoncer ; mon dos me fait encore trop mal. Mon regard est attiré vers le sol, et j’esquisse un petit sourire en posant les yeux sur notre chatte, qui vient se coller à moi en ronronnant.
Si je ne la connaissais pas, je penserais qu’elle ne veut pas que je parte, mais je connais bien mademoiselle la duchesse : elle a senti que j’allais ouvrir la porte, et elle espère filer dans le couloir, ce lieu de mystères et de nouveautés qu’elle adore visiter.
- Fais attention à ce qu’elle ne s’échappe pas. Et fais aussi attention au bureau : tu laisses traîner tes Lego et tes papiers du boulot, ça n’est pas prudent. Pour l’instant, elle n’a pas encore pissé dessus, ça serait bête qu’elle le fasse, hein. Bon, c’est vrai qu’elle est propre avec la litière, mais, quand même… ça pue… c’est pas comme un chien. J’ai toujours préféré les chiens, c’est plus simple. Mais ta mère ne voulait pas, et puis j’avais pas le temps, moi, de m’en occuper…
Je ne réagis pas, je me contente de gratter légèrement le chat derrière les oreilles. Je la vois fermer les yeux de plaisir, et je souris un peu. Je continue quelques instants, avant de me relever pour sortir. Je claque la porte derrière moi, en silence ; bien sûr, mon père me suit.

**

Il est un peu plus de 14 heures, je suis en retard : j’avais dit que j’y serai à 14 heures 30, mais ça ne sera pas possible. J’ai attendu trop longtemps, mais je sais bien que rejeter la faute sur Amazon ou mon matérialisme est inutile. Je n’ai pas envie d’y aller, je n’ai jamais envie d’y aller, et j’essaye de tout faire pour y échapper ; mais ça ne marchera pas aujourd’hui.
Un vent glaçant souffle sur la ville aujourd’hui, qui agresse mon visage au point de le faire rougir. Je grimace en avançant malgré la pression du souffle venu d’en face. Mon arrêt de tram n’est pas loin, je ne mets que quelques minutes pour le rejoindre ; il y a de très nombreux passages, un tram loupé est généralement suivi d’un second quatre à cinq minutes après.
Mais je suis déjà en retard. Et quand j’entrevois, au loin, le tram que je dois prendre en train d’arriver à l’arrêt, je me mets à courir pour l’attraper.
Après quelques secondes intenses, je pénètre dans le wagon de tête avant même que la sonnerie de fermeture de porte se soit fait entendre. J’y suis arrivé – mais je suis essoufflé.
- Tu devrais faire un peu attention. Je ne dis pas ça pour t’embêter ou te faire la leçon… j’ai aussi trop de poids. Mais je n’en avais pas à ton âge. A l’époque, j’étais à fond dans le rugby, première ligne en fédérale une… les entraînements la semaine, le boulot, les matchs le week-end. A fond, à fond, à fond. Alors si aujourd’hui j’ai du poids, c’est encore aussi du muscle, et c’est depuis que j’ai arrêté le rugby. Mais toi, c’est pas pareil, fiston.
Je reprends ma respiration et je me cale contre la porte opposée à la sortie. Je n’ai besoin que de quelques secondes pour retrouver une respiration normale, et personne dans le tram n’a remarqué mon manque d’endurance. Je suis maintenant loin du collège ou du lycée, quand mon asthme était très présent et me donnait l’impression que le moindre sprint me faisait perdre mes poumons. Mais, bien sûr, mon père ne voit pas ça, et maintient son discours habituel.
- Je ne veux pas te prendre la tête, hein. C’est pour toi, tu fais ce que tu veux. Mais fais attention. Je sais ce que c’est, on fait pas gaffe, les années passent, on dit que les pantalons ont rétréci à cause de la machine, on ne voit pas le double-menton qui se développe… on ne se regarde plus dans le miroir. Mais fais gaffe, Ben. On a qu’un corps, et je suis bien placé pour savoir ce que ça fait, de déconner avec. Fais gaffe – et fais du sport. Ça te fera du bien, je te l’ai déjà dit.
Le sport… la valeur suprême de mon père. Le creuset à l’origine de sa personnalité et de ses réussites, l’élément qui lui a permis de survivre à une enfance difficile voire infernale, selon ses versions. Si j’admets que mes grands-parents n’ont pas été des modèles, s’ils ont été trop stricts et n’ont pas su gérer leur fils hyperactif, je continue à penser qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu et qu’il ne devrait pas autant leur en vouloir.
Si mon père a trouvé dans le sport un exutoire et un moyen d’exister, c’est très bien. Mais ce n’est pas pour moi.
Je n’ai jamais été sportif – ou bon dessinateur, ou porté sur les sorties, ou terriblement ambitieux comme lui. Longtemps, jeune, j’ai eu du mal à trouver ma place auprès de mes parents, qui avaient eu une jeunesse entièrement différente la mienne, et avaient de plus dû jouer des coudes pour se sortir d’enfances compliquées afin d’accéder à une existence plus agréable.
Longtemps, en fait, j’ai eu l’impression de ne pas être à leur hauteur, de ne pas être leur digne fils. Ça m’a fait mal, ça a nourri un sentiment de déprime qui m’a accompagné pendant des années ; mais c’est terminé.
Tout ça, en fait, est terminé.

**

- Je ne veux pas te reprendre la tête avec ça, mais… et ton permis, fiston ?
Je n’ai pas entendu la voix de mon père durant tout le trajet du tram ; j’espérais que ce serait terminé après sa réflexion sur le sport. J’avais tort.
Mon père n’a jamais aimé les transports en commun. Pour lui, pour le style de vie d’un directeur tel que lui, le bus ou le tram n’ont jamais pu être des options crédibles. De ce fait, il a toujours apprécié le confort de l’indépendance offerte par une voiture, dont il mesura le prix quand son permis fut retiré après des excès. Et c’est exactement parce qu’il connaît l’importance d’un véhicule pour la vie quotidienne, mais surtout professionnelle, qu’il n’a jamais compris mes échecs à l’examen du code.
Il y a dix ans, encore au lycée, j’ai tenté de passer le permis accompagné. Trois passages au code – trois échecs. Et une décision, stupide, de tout abandonner pour me concentrer à mes études, que je considérais trop prenantes pour être « diverti » par le permis. Une belle erreur, que je paye maintenant en ayant développé une terreur primaire du code, synonyme de mes échecs passés ; et une erreur qui a créé un fossé entre mon père et moi.
- Le tram, ça aide oui, et je sais que tu fais aussi du vélo, mais… t’en as pas marre de te faire transporter ? De demander de l’aide quand tu achètes des meubles ? Ou d’attendre autant pour les bus ? T’as bientôt 30 ans, Ben. Ça fait pas sérieux.
Je sors de l’arrêt de tram en hâtant mon pas, comme pour y échapper. Je sais qu’il a raison – mais il est hors de question de le reconnaître.
Bien sûr que je sais que le permis de conduire est indispensable, surtout à mon âge. Bien sûr que je sais que j’ennuie mes proches, obligés de m’emmener comme si j’étais un gamin. Bien sûr que je sais que l’absence du permis m’a coûté une promotion. Mais je refuse de l’admettre devant lui – parce qu’assumer une faiblesse devant mon père a toujours été compliqué.
Non pas qu’il ne supportait ou n’acceptait pas les erreurs : au contraire, pour en avoir fait un certain nombre, il a toujours été très ouvert et prêt à les accepter, du moment qu’elles ne venaient pas d’une réaction stupide. Mais je n’ai jamais supporté de le décevoir, et j’ai toujours imaginé que je le décevais quand je n’étais pas… même pas juste bon, mais parfait. Je me disais que je devais toujours être parfait.
Ça vient sûrement du fait que j’ai toujours eu l’impression de n’être pas assez comme lui, mais le moindre échec était un choc rien qu’en songeant à sa réaction. Petit, j’ai toujours vu mon père grand, massif, impressionnant en costume-cravate, commandant des hommes de chantier avec une autorité et un charisme naturels qui éblouissaient le petit garçon que j’étais ; et ça m’est resté.
Je déteste le décevoir, et je ne cesse de me demander comment il réagirait à ma place face aux défis de ma vie quotidienne. Ces dernières années, ça va mieux grâce à Elle, car Elle m’ouvre les yeux et me rassure. Elle m’est indispensable, même si je ne lui dis pas assez. Elle me fait grandir, mûrir et couper le cordon. Oui, je pense moins à ce qu’il penserait à ma place grâce à Elle – mais ça reste difficile de ne pas faire comme il le voudrait.
- Je n’aime pas cet hôpital.
Comme souvent, mon père change de sujet pour évacuer une tension. Il le fait très bien avec ma mère, et avec ses interlocuteurs professionnels, pour éviter de s’appesantir sur des sujets houleux. S’il ne cherche pas à fuir le conflit, mon père aime le dialogue et va droit au but ; et c’est vrai qu’il n’aime pas cet hôpital.
L’immense structure du centre hospitalier se dévoile devant mes yeux, gigantesque ensemble de béton et d’acier accueillant des centaines de patients dans les trois ou quatre ailes des bâtiments. Plusieurs zones spécialisées sont organisées à l’intérieur, mais je ne saurais même pas estimer leur nombre ou leur localisation ; tout ça, c’est un vrai labyrinthe.
- Pas uniquement à cause de Denis, hein. Au fond, j’ai rien contre le presque pape du moment qu’il me fout la paix. Mais l’ambiance me rappelle des mauvais souvenirs.
Je ne peux masquer un sourire en entendant l’expression de mon père. Dans la gigantesque structure hospitalière se trouve notamment une aile religieuse, avec une aumônerie tenue par un prêtre « moderne » : s’il porte toujours la soutane et suit les Ecritures, il a une appréciation actuelle de la Bible et n’hésite pas à se déplacer en jeans, converse ou en belles voitures – et à marier des divorcés ou enterrer des suicidés.
Je n’ai rien contre lui, c’est un homme sympathique dévoué aux autres – il le faut, pour accompagner les mourants jusqu’au bout, ou consoler ceux qui ont perdu leurs proches. Cependant, je sais que mon père a un contentieux avec lui, tout simplement parce que mes grands-parents l’adorent et lui offrent les beaux lauriers que mon père espère depuis toujours.
A bien des égards, il est rongé par la jalousie et l’envie : la jalousie envers ceux qui bénéficient de l’amour et de l’admiration de ses parents, et l’envie d’en profiter après une vie passée à courir pour les obtenir. C’est une chose qui me différencie de lui : si j’ai longtemps cru ne pas être à la hauteur de mes parents, si je crains encore de les décevoir, ces derniers n’ont jamais cessé de me dire qu’ils m’aimaient et qu’ils étaient fiers de moi. J’avais juste du mal à y croire.

**

- C’est ici que j’ai attendu la fin de ton opération.
Mon regard se pose sur la salle d’attente de la zone réservée aux patients mineurs. Quelques pas à l’intérieur de l’hôpital m’ont suffi pour confirmer les sensations de mon père : je n’aime pas non plus cet endroit. L’odeur, le carrelage, la présence extrême et continue du blanc sur les blouses et les murs, la sensation de propre et de stérilisation obligatoires… ce n’est pas agréable. Ça peut même être asphyxiant, quand on y attend de longues heures un de ses proches.
- Ta mère était là, aussi, mais dans un état second. Terrifiée. J’ai essayé de lui parler, puis j’ai abandonné parce qu’elle ne m’écoutait pas. Tu n’as pas idée combien elle t’aime, tu sais. Tu es tout pour elle. Elle est prête à tout pour toi. Elle s’en serait pris à l’autre gamin s’il t’était arrivé quelque chose de plus grave, tu sais. J’aurais dû la retenir, hein fiston !
J’entends le petit rire qui ponctue sa phrase – je sais qu’il est forcé. Et je sais aussi que ce n’est pas ma mère qu’il aurait fallu retenir si j’avais eu quelque chose de grave, mais bien lui.

Petit, j’ai eu quelques accidents et j’ai souffert de cinq fractures du coude. J’étais trop jeune pour être plâtré assez longtemps pour que les os se ressoudent, car les médecins craignaient pour ma croissance. Les quatre dernières fois ont pour origine des chocs de moindre importance, mais qui ont impacté un coude trop fragile ; direction l’hôpital à chaque fois pour un nouveau tour de plâtre.
Cependant, mon ultime passage ici était dû à un sale coup réalisé par un « camarade » de classe, qui avait tenu à me faire mal dans la cour de récréation pour je ne sais plus quelle raison. Et si mes parents m’ont amené à l’hôpital et sont restés avec moi durant l’opération qui a visé à réduire ma fracture, je sais très bien que leurs esprits étaient autant tournés vers moi que vers le responsable.
Mes parents ne sont pas violents, ils sont même plutôt pacifiques ; mais ils en ont vu de dures, et ils ont dû s’en sortir. Ma mère vient d’une famille nombreuse et pauvre, avec la perte de son père quand elle était très jeune et un fonctionnement de bande avec ses frères ; longtemps la seule fille dans cette ambiance, elle a dû apprendre à se défendre, autant de l’extérieur que de l’intérieur. Et mon père a trouvé dans le rugby un exutoire à ses pulsions violentes, dues à l’incompréhension exprimée par ses parents sur son caractère.
Non, mes parents ne sont pas violents – mais fonctionnent comme un clan. Dont chaque membre doit être défendu à l’extrême. Surtout leur fils.
J’appuie sur l’interrupteur de l’ascenseur, en face de cette salle d’attente où mon père m’a attendu jadis, et tout ça me rappelle d’autre chose. Un autre souvenir, celui d’un 31 décembre passé dans un clubhouse de rugby. Une ambiance sympathique, bien qu’un peu trop éméchée. Un convive qui a trop bu me reconnaît comme « le fils à Tom », qui passe son bras autour de mon cou dans un geste qui se veut convivial mais reste trop violent ; ça me coupe la respiration.
Je ne peux plus bouger, j’ai peur, la foule est trop bruyante pour appeler à l’aide. Mon père est là, à quelques centimètres, mais me tourne le dos ; il ne peut rien faire, j’étouffe, je n’ose rien faire face à son copain trop joyeux… mais je réussis finalement le frôler avec le bout de mes doigts.
Je ne me souviens pas du reste, je crois que j’ai fermé les yeux et essayé de me dégager. Mais j’ai soudain senti que l’emprise de l’autre se libérait, et que la foule devenait silencieuse.
J’ai rouvert les paupières pour découvrir le bras de mon père sous la gorge de son vieux copain, collé au mur ; terrifié. Je n’ai pas vu les yeux de mon père, mais j’ai juste entendu ce qu’il a murmuré à celui qu’il connaissait pourtant depuis avant ma naissance. « Pas mon fils », a-t-il dit. « Tu ne touches pas mon fils. »
C’est flou, bien sûr. Ça fait des années, et je pense que ma mémoire a enjolivé ce souvenir ; mais il m’est resté.
Mon père m’a toujours protégé, il a toujours été là pour me sortir du moindre mauvais pas et servir de filet de sauvetage.
Jusqu’à maintenant.

**

Je n’y arrive pas.
Je suis dans le couloir, devant la porte de la chambre B7, et je n’y arrive pas. Je ne veux pas rentrer. La simple idée de l’ouvrir rend ma gorge sèche, me fait transpirer plus abondamment encore que la température élevée imposée par l’hôpital. Je ne me sens pas bien.
Je ne veux pas y aller. Je ne veux jamais y aller.
Mon cœur bat plus vite, mes doigts se crispent. Mes yeux vont et viennent autour de moi, cherchant des infirmières ou des visiteurs qui pourraient me fixer et me mettre encore plus mal à l’aise ; si, si, ça doit être possible.
La voix de mon père s’est tue dès que je suis entré dans l’ascenseur, alors que j’aurais pourtant bien besoin de l’entendre cette fois-ci. Mais, bien sûr, plus rien ne vient maintenant.
Je souffle, je prends une grande inspiration. Je tremble, mais je m’approche. Je pose la main sur la poignée, je ferme les yeux et je pousse.
Je fais un pas, j’entre. Je regarde d’abord le mur sur ma droite, où trône une télévision allumée sur l’émission « Toute une histoire ». Et, alors que mon cœur bat si fort que je n’entends plus que lui, je pose mes yeux sur le lit et celui qui s’y trouve.
- Bonjour Papa.
Il se tourne lentement vers moi, son visage exprime la surprise et l’incompréhension. Il a besoin de cinq secondes avant de sourire et d’ouvrir la bouche.
- Hahalu ! Havoua ?
- Oui, ça va et toi ?
Je m’avance et j’essaye de sourire en réplique, pour lui faire plaisir ; ça ne réussit pas vraiment, et je le sais.
Le père que j’ai connu n’existe plus depuis quatre mois, maintenant. Depuis un Accident Vasculaire Cérébral quelques jours avant mon anniversaire, qui l’a conduit directement aux Urgences où il a végété pendant plusieurs heures ; ont suivi trois jours dans le service de Neuro-Chirurgie, où les médecins ont hésité à le renvoyer chez lui alors que ses paroles et ses gestes étaient désordonnés. Il a fallu le retour des neuro-chirurgiens qui l’ont opéré quelques semaines plus tôt pour qu’on comprenne ce qu’il s’est vraiment passé.
Il y a sept mois, mon père m’a informé qu’on avait détecté chez lui une tumeur cérébrale. Il a été opéré il y a cinq mois, sans avoir accepté de suivre les prescriptions de ses médecins sur le repos et le rythme de vie à adopter avant l’opération ; son entreprise avait trop besoin de lui, c’était trop important, il s’en sortirait comme d’habitude. Il avait tort.
Son refus de prendre soin de lui a causé une hémorragie lors de l’opération, puis quelques difficultés. Cependant, en sortant du bloc, mon père allait globalement bien : il avait des troubles de concentration, de la mémoire, mais il parlait normalement et agissait normalement. C’était lui.
Seulement, un mois après sa première opération, il y a eu cet AVC, ce départ aux urgences dans la nuit, puis la découverte, lors du retour des spécialistes évidemment tous en congés, qu’il avait eu une infection nosocomiale lors de la première opération. Un champignon s’était niché dans son crâne, et a provoqué l’AVC.
Deuxième opération, pour enlever l’os occipital entièrement infecté par la bactérie. Puis troisième opération, pour soigner une hémorragie interne qui inonda de sang des grandes parties du cerveau. Et détruisit l’homme que j’ai connu.
- Houava ? Huaghuilaoa ?
Voilà le résultat : aphasie sévère, troubles de la mémoire, faible capacité de concentration et tant d’autres choses. Il ne peut plus parler normalement, il prononce des sons qui ressemblent parfois à des mots, et nous devons réfléchir à toute vitesse pour espérer un peu comprendre.
Pire encore, lui non plus ne nous comprend pas selon ses médecins et les orthophonistes, et n’a plus aucune idée de qui nous sommes. S’il a bien remarqué que ma mère vient tous les jours, et s’il a dû comprendre qu’elle est proche de lui, il ne sait pas qui je suis et me le fait remarquer.
Oh, il est poli et gentil, il essaye de parler et de dire quelque chose – comme avec tout le monde. Il tente de communiquer, comme si j’étais une infirmière ou un médecin.
Il ne sait plus qui je suis. Je l’ai perdu.
- Houava ? Houahouahuaerau ?
C’est un dialogue non pas de sourds, mais de personnes qui ne parlent pas la même langue. Sans aucune possibilité de se comprendre.
- Oui, oui, ça va… et toi alors ? Tu passes une bonne journée ? T’as pas trop froid ?
Je m’assois sur la chaise à côté du lit, après avoir déposé mon manteau à côté. Je tremble, je n’ose pas le regarder. Je ne sais pas quoi dire, pas quoi faire. Ma mère vient ici tous les jours, pour l’aider et lui tenir compagnie ; je ne passe qu’une fois par semaine, et c’est déjà trop.
J’aime mon père, je sais ce que je lui dois ; mais cet homme, qui a perdu trente kilos, qui ne peut plus dire mon nom, qui ne reconnaît personne, qui ne peut pas parler, qui ne sait même plus que je suis son fils… ce n’est pas mon père. Ce n’est plus mon père.
- Nouahhaou, husai. Chaimainkiaiteupaulaichauchiaitaiaitaimoumouan, tauvoua ?
- Euh désolé Papa, mais je comprends pas…
- Maichiahiahiahiahahauahma ! Chaimainkiaiteupaulaichauchiaitaiaitaimoumouan ! Aukai ?
Il n’a jamais aimé être contredit. Il a toujours beaucoup attendu des autres, et surtout une grande vivacité d’esprit pour suivre ses propres idées. Ne pas être compris, suivi, est insupportable pour lui.
- Papa, moins vite, je…
- Chaimainkiaiteupaulaichauchiaitaiaitaimoumouan ! Chaitouakouakoua !
Son ton se fait plus pressant, plus dur. Son visage exprime la frustration, qui se transformera bientôt en colère.
- Papa… écoute, je…
- Chaimainkiaiteu, aukai ? Choust Chaimainkiaiteu !
Il commence à hausser le ton, et serre les poings.
- Papa…
- Chaimainkiaiteu, ai…
- Papa, je comprends rien ! Je comprends jamais rien !
Je hurle. Sans m’en rendre compte.
Ça fait du bien.
- Je comprends rien à ton charabia ! Je comprends rien, même quand tu répètes ! Et ça sert à rien que je te dise ça, parce que tu comprends rien non plus ! Tout ça sert à rien !
La colère explose. Celle dirigée contre les médecins, qui n’ont pas su s’occuper de lui à temps et qui ont, même par inadvertance, favorisé l’infection. Celle dirigée contre le reste de ma famille, qui polémique sur des points de détails financiers plutôt que de nous soutenir. Celle dirigée contre le destin, qui a frappé mon père avant que j’ai pu lui dire combien je l’aimais et combien j’étais fier de lui.
Et surtout celle dirigée contre lui, qui n’a pas pris soin de lui ; lui, qui n’est plus là pour m’aider, me conseiller, m’accompagner, me rassurer. Lui, qui m’a abandonné.
- Putain, Papa…
Ma voix, alors un hurlement de rage, devient juste un souffle, un sanglot. Je baisse les yeux et les cache avec mes mains. Les larmes coulent, j’essaye de les retenir sans succès.
Je n’en peux plus de tout ça ; je ne veux plus de tout ça.
Je veux mon père, je veux le retrouver, je veux pouvoir lui parler et qu’il me comprenne juste une fois, juste une dernière fois. Je veux arrêter de me remémorer ce qu’il me disait, je veux arrêter de me bercer de sa voix et de ses anciens discours parce que je sais que je ne les entendrais plus jamais.
Je ne veux pas de cet homme maigre et affaibli, qui baragouine sans rien comprendre. Je ne veux pas être ici, à passer du temps avec quelqu’un que je ne reconnais pas.
Je veux juste mon père.
- Haïn ?
- Papa, écoute, je…
- Baïn ?
Je lève des yeux embrumés par les larmes. Je m’attends à découvrir une expression de colère ou, pire encore, de tristesse, mais je me trompe. Je sens sa main sur mon épaule, avant de voir une étincelle de détermination farouche dans son regard.
- Papa… ?
- Baïn… havouahallaihiston.
Il parle, plus lentement, plus calmement. Il se concentre.
- Papa, vas-y…
J’essaye de ne pas pleurer, je chasse les larmes avec mes mains. Je fais racler la chaise sur le sol pour m’approcher.
- Baïn. Ha. Voua. Allai. Histon. Ha. Voua. Allai. Histon.
Il articule, fait un effort surhumain pour prononcer chaque syllabe.
Et je comprends.
Baïn pour Ben. Histon pour fiston… son surnom préféré. Et ça va aller, bien sûr.
- Papa… je…
Je pleure, plus encore qu’avant. Et lui aussi pleure, quand il saisit qu’il est en train de réussir.
- Oui… oui, Papa. Tu as raison. Tu as entièrement raison.
A mon tour, je pose ma main sur lui, puis me lève et me serre contre lui.
Toujours, je me suis senti en sécurité dans les bras immenses et forts de mon père, un cocon de protection où rien ne pouvait me faire du mal. Maintenant, sans m’en rendre compte, par instinct, c’est moi qui le serre contre moi. C’est moi qui l’aide.
- Oui, Papa. Comme tu dis. Ça va aller.
Il l’a dit. Il a fait une phrase sensée, claire ; il a dit mon nom, mon surnom. Affaibli, blessé dans son esprit, presque vaincu par la maladie, il a vu que j’étais mal et a voulu me rassurer. Me consoler. Comme un père ne peut s’empêcher de le faire pour son fils.
- On va s’en sortir. Toi, Maman et moi. On va s’en sortir, comme toujours.
Nous pleurons ensemble, silencieusement – de joie.
Je sais que rien n’est gagné, qu’il est encore malade et que son aphasie est une épreuve contre laquelle nous ne pourrons jamais entièrement l’emporter ; mais ce n’est pas grave.
Aujourd’hui, je m’en fiche. Alors que je m’énervais contre lui, il a voulu me consoler, malgré son propre enfer. Il a pris sur lui, pour moi. Il m’a reconnu comme son fils.
Aujourd’hui, même si je tremble encore, je souris entre les larmes parce que je sais que je n’aurais plus à m’imaginer à chaque instant la voix de mon père, à me remémorer ses anciens discours pour espérer encore le sentir près de moi.
Aujourd’hui, j’ai retrouvé mon père.

Butters 25/01/2016 14h46

Wow.
Bon là je viens de prendre une petite claque. C'est magnifiquement écrit, très bien construit. Et l'émotion que ton texte dégage... J'en ai les larmes aux yeux.

Une réussite, vraiment.
Merci.

Ben Wawe 25/01/2016 15h33

Merci beaucoup. Ce texte est important pour moi, le sortir a fait beaucoup de bien. Je suis heureux qu'il fonctionne et soit un plaisir de lecture.

Thoor 25/01/2016 16h04

Merci d'avoir lu ;)

Thoor 25/01/2016 16h26

@ben ( l'imaginaute, j'ai du mal ;) ): Quel claque qui résonne fort en moi pour avoir vécu une situation trés proche ( AVC de mon père mais lui n'as pas put se réveiller). C'est un super texte bien-comme-il-faut
:bravo:

Ben Wawe 25/01/2016 16h43

Merci, j'espère ne pas avoir réveillé d'anciennes douleurs, ce n'était bien sûr pas l'intention.

Thoor 25/01/2016 16h45

Il y a déjà trois ans, c'est toujours a vif mais il faut bien allez de l'avant. Pour paraphraser ton père: "Ca va aller"

doop 25/01/2016 18h02

pour développer : comme je connaissais ta situation avant de lire, ça m'a vraiment encore plus touché car j'avais déjà la fin.
C'est excellemment écrit, comme d'habitude. ON ressent ton énervement et ta colère durant le "dialogue", cela fonctionne très bien

Et pour finir, j'espère que ca t'a fait du bien.
J'aurais certainement un truc similaire à faire mais je ne sais pas si je serai aussi courageux que toi pour aller là où ca fait toujours très mal !

wildcard 25/01/2016 19h19

Waouh !

Merci, les gars ! Vos textes sont incroyables.

Je posterai mon propre texte bientôt.

Encore merci pour votre engagement et votre confiance.

Voici l'adresse du blog : http://short-stories-project.blogspot.fr/

Ben Wawe 25/01/2016 20h53

Hâte de voir ça. :)
Merci de ton initiative.

Citation:

Envoyé par doop (Message 1635907)
pour développer : comme je connaissais ta situation avant de lire, ça m'a vraiment encore plus touché car j'avais déjà la fin.
C'est excellemment écrit, comme d'habitude. ON ressent ton énervement et ta colère durant le "dialogue", cela fonctionne très bien

Et pour finir, j'espère que ca t'a fait du bien.
J'aurais certainement un truc similaire à faire mais je ne sais pas si je serai aussi courageux que toi pour aller là où ca fait toujours très mal !

Merci, Doop. Ca m'a en effet fait beaucoup de bien.
Il s'agit de mon deuxième texte sur ce thème, après un premier où j'utilisais mon personnage de fiction fétiche, et où j'exprimais une grosse forme de rage, avec une fin plus désespérée. Je préfère ce texte : plus clair, plus direct, plus vrai... plus positif.
Je veux plus de positif, je pense que ce texte l'exprime. Et oui, ça fait beaucoup de bien, merci beaucoup. :)

Yaneck 26/01/2016 13h41

Pfff... Tu m'as foutu les larmes aux yeux...
Salop, comment tu veux qu'on passe derrière ça maintenant? ^^

Ben Wawe 26/01/2016 14h36

Avec un billet d'humour ? :D
Non, sans rire, merci beaucoup à tous. Je suis ravi qu'il vous plaise et vous ait ému, même si le but premier était de le faire "sortir".

wildcard 28/01/2016 18h49

Voici ma contribution au Projet.

TALKIE-WALKIE

Thème : AMOUR

J'ai toujours entretenu un rapport compliqué avec la technologie et les moyens de communication modernes. Je suis devant eux comme une poule devant un peigne, à la fois fasciné et interdit. Pourtant, c'est grâce à eux que je peux échanger avec vous aujourd'hui - mieux même : c'est grâce à eux que mes parents se rencontrèrent.

C'était au début des années 70. Âgée d'une vingtaine d'années, ma mère élevait seule sa fille, après avoir interrompu sa scolarité pour aider ses parents à la ferme. Mon père, un an de moins qu'elle, était "l'artiste" de sa famille, doué pour la guitare et le dessin, rêvant d'intégrer les Beaux-Arts, ce que ses parents refusaient, craignant qu'il finisse clochard - il entra donc à l'usine pour devenir tourneur-fraiseur.

C'est Jean, le plus âgé des deux frères de ma mère, qui allait, sans le vouloir, provoquer leur rencontre. Mon père venait de s'acheter une paire de talkie-walkie, cet ancêtre du téléphone mobile. A Vollore-ville, mon père était chez ses parents avec le premier émetteur-récepteur, tandis qu'à une dizaine de kilomètres plus bas, à Courpière, mon oncle avait le second.

Jean était déjà un farceur et voulut jouer un tour à son ami : il confia son talkie-walkie à ma mère pendant qu'il gagnait Vollore-ville pour y surprendre mon père. Ce dernier, d'abord étonné d'entendre une voix féminine lui répondre, décida, pour savoir à qui il parlait vraiment, de redescendre à Courpière, croisant sans faire attention mon oncle qui faisait donc le chemin inverse.

La suite est simple à deviner : Jean débarqua chez mes grands-parents paternels étonnés tandis que mon père découvrit ma mère, tous deux amusés. Ils sympathisèrent rapidement et quelques mois après s'installaient ensemble dans un modeste meublé avec ma soeur. Ma grand-mère paternelle, élevée par de strictes religieuses, toléra longtemps avec difficulté le fait que son fils préféré choisisse pour compagne une fille divorcée et déjà mère, mais ce fut la seule que cette situation gêna. Et son courroux s'apaisa quand je naquis en 1973, alors que mes parents se posèrent à Thiers où mon père fut engagé dans une petite entreprise où il travailla jusqu'à son décès en 1997.

Quant à moi, lorsque je revois mon oncle Jean, je me souviens toujours que si je suis là, c'est grâce à sa malice. Et à la paire de talkie-walkie que mon père testa avec lui.

Thoor 28/01/2016 19h15

elle est toute mimi cette histoire
:bravo:

Ben Wawe 28/01/2016 22h48

Je confirme, c'est un beau petit moment.

effixe 29/01/2016 11h39

Gros gros niveau... Bravo à tous...

bukowski 29/01/2016 18h01

Invitation bien reçue. Je vais essayer de participer prochainement...

gillesC 29/01/2016 18h59

Awright, man. ;)

HiPs! 31/01/2016 22h42

J'en suis. Mais, je ne sais pas quand.

Algernon Backwash 01/02/2016 02h26

Allez hop, je vais faire un truc.

Thoor 01/02/2016 09h02

Merci de vos lectures :merci:

HiPs! 01/02/2016 16h47

Une histoire de famille et aussi de mort:

Citation:

Envoyé par Polichinelle
La terre était gelée en cette nuit de février.
Si dure que la pelle et la pioche l’ébréchaient à peine. Il fallait bien pourtant. Il fallait bien creuser.
Mais, bon dieu, qu’il faisait froid!

Violette se remettait doucement dans la chambre à l’étage.
La vieille était partie voilà moins d’une heure, sa besogne accomplie et les billets empochés.

La tête de ma pioche s’est abattue une fois de plus dans la terre récalcitrante.
Le choc faisait vibrer le manche qui le propageait dans tout mon corps.
Mes dents s’entrechoquaient, le froid, les vibrations. Des orteils à la pointe des cheveux, je n’étais plus que tremblements.
Encore un petit effort, j’y étais presque.

C’était le père de Violette qui avait appelé la vieille. Après, il m’avait désigné “le paquet“. Il m’avait dit que c’était à moi de m'en débarrasser.
Alors, j’ai pris la petite chose enfouie dans le torchon de cuisine, invisible, anonyme. Je n’ai jamais su son sexe, je ne voulais pas savoir. Violette habitait encore chez ses parents bien sûr. Ils avaient de l’espace, un grand terrain. Alors, j’ai creusé un trou dans un endroit isolé et je l’ai déposé là, avant de reboucher...

...

— C’est terrible ce que tu viens de me raconter là, papa. Je ne sais pas quoi te dire...
— Tu sais, c’était une autre époque. Quelques jours plus tard, j’embarquais pour l’Algérie. On s’est écrit un peu avec Violette. Puis, plus du tout. Je ne l’ai revu que des années plus tard. Entre temps, j’avais rencontré ta mère. Tu étais né. La vie avait continué, autrement. Mais, tu sais, vraiment, je ne regrette rien. Sans cette nuit là, ma vie aurait été différente. Et tu n’en aurais jamais fait partie, mon fils.


Thoor 01/02/2016 17h36

He bé..... quelle histoire.
Elle est courte, mais que rajouter de plus. rien. elle marche très bien comme cela.

wildcard 01/02/2016 18h50

Merci, Hips ! d'avoir répondu présent.
Un texte d'une remarquable concision, très fort.

Vous faîtes vraiment de ce projet quelque chose d'exceptionnel. Merci.

HiPs! 02/02/2016 18h28

Le pire c'est que mon père est un grand taiseux et que c'est toujours entre la poire et le fromage qu'il me livre ce type d'anecdotes un poil terrifiantes. Ah, et je précise que le nom de Violette est de mon invention et que j'ai demandé à wildcard de rester anonyme, pour préserver évidemment l'identité des personnes citées.


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