Bien, bien, bien... Deux trois petites précisions pour commencer.
Lorsque le sujet à été fixé, je me suis posé une question simple : Le travail qu'est ce que ça m'évoque? Une personne m'est venu de suite à l'esprit. Ce qui est amusant c'est qu'il s'agit d'une personne qui n'a jamais eu de travail ni de métier officiel mais qui est pourtant la personne que j'ai le plus vu travailler au cours de ma vie. Il s'agit de ma Grand-mère. Je me suis donc lancée dans la description d'une journée, à un moment précis de sa vie. Toutes les anecdotes sont réelles mais bien évidement, le texte est tout à fait subjectif.
En l'écrivant je me suis rendu compte de la complexité de la tache, du coup je ne suis pas du tout contente du résultat, cela dit vu qu'il est fait, lu et relu autant jouer le jeu !
Citation:
Maison de l‘Impostaire, La Grand’ Combe. Une nuit d’hiver. 1963.
La faible lueur de la bougie forçait Pierrette à plisser les yeux afin de ne pas rater l’ourlet qu’elle confectionnait. Elle ne pouvait utiliser sa vieille machine car elle faisait plus de bruit qu’un portail rouillé. Dans la pièce à côté ses filles étaient profondément endormies, aussi elle tachait d‘être la plus discrète possible. Si elle voulait avoir la possibilité de garder des enfants et faire quelques ménages le jour, il lui fallait à tout prix coudre la nuit.
Elle n’était pas mécontente, le costume bleu marine qu’elle s’apprêtait à finir lui rapporterai quelques sous de plus. Ca ne ferait de mal a personne vu la maigre pension de veuvage que les mines lui versaient.
Son mari Adrien, l’amour de sa vie, était mort quelques mois plus tôt d’un cancer foudroyant, la laissant seule avec leurs cinq filles.
Il avait eu la possibilité de passer Chef d’équipe, un poste de grande responsabilité, mais il avait refusé. Adrien était né à la Grand’ Combe et une grande majorité des mineurs étaient ses amis d’enfance. Comment aurait-il pu leur donner des ordres ?
Il avait le cœur sur la main, « son Adrien » était l’homme le plus gentil qu‘elle ait connu. C’était un père aimant et un époux attentionné. Pour couronner le tout il était grand et beau et ressemblait à Jean Marais ! Elle feignait de ne pas s’en rendre compte lorsqu’on lui faisait la remarque, mais elle en avait pleinement conscience. Et c’est elle qu’il avait choisit, une petite sicilienne d’un mètre cinquante au caractère bien trempé. Lors de leur première rencontre elle ne parlait pas encore un mot de français et lui s’intéressait déjà à elle.
Des larmes coulaient machinalement le long de ses joues rebondies, comme à chaque fois que son esprit évoquait le souvenir d’Adrien. Ses pleurs étaient sans bruit, sans sanglot.
Elle sursauta en se piquant le bout du doigt et vit se former une petite perle de sang rouge vif. Pierrette se ressaisit, prise de colère envers elle-même. Elle devait relever la tête, ne pas se laisser aller, pour ses filles. Sa famille avait besoin d’elle. Elle termina le col de la veste bleu-marine, plia le costume en cours de confection et le remisa sur la commode de la cuisine.
Avant d’aller se coucher, elle fit un détour pour veiller à ce qu’aucune de ses filles ne prenne froid en tirant les couvertures. L’ainée avait un petit lit étroit pour elle seule. Les quatre autres partageaient un grand lit. Pour bénéficier d’un peu plus d’espace elles dormaient intercalées, deux à la tête du lit, deux aux pieds.
Elle souffla enfin sa bougie et sombra en quelques secondes dans le plus profond des sommeils.
Quatre heures plus tard Pierrette s’activait déjà dans sa cuisine pour préparer le petit déjeuner de la maisonnée. De grands bols de lait chaud et des tartines de pain attendaient sagement que les dix paupières daignent s’ouvrir et venir s’y intéresser. Une heure plus tard c’était l’effervescence. L’ainée criait sur la deuxième pour une affaire de vieux « Salut les copains » déchiré, la troisième enfilait ses vêtements l’air encore hagard et la quatrième tentait tant bien que mal de lisser les cheveux emmêlés par le sommeil de la petite dernière. Enfin celle-ci posait toutes sortes de questions à sa mère qui répondait à chacune d’entres elles un peu agacée car occupée à ranger la cuisine. cinq enfants pouvaient mettre une quantité record de désordre en un laps de temps tout à fait réduit.
A sept heure, tout le monde était parti pour l’école et Pierrette avait enfilé ses vieilles bottes percées et son panier pour partir sous la neige en direction du marché.
Sur place, elle n’avait ni le temps ni le cœur de trainer à discuter. Elle rentrait déposer ses achats pour repartir faire quelques ménages chez des gens qui n’avaient pas un grand sens de l’ordre ni de la propreté.
Certains affectionnaient particulièrement Pierrette car elle était la seule à accepter de se faire rabrouer sans réagir. Elle n‘en avait cure, elle avait bien d‘autres soucis en tête et une famille à nourrir. D’autres la prenaient pour une idiote, sourde de surcroit, réaction apparemment logique à un accent italien prononcé. Après plusieurs heures passées à frotter un sol crasseux à quatre pattes, harassée, elle pouvait rentrer chez elle préparer le repas de ses filles.
Pierrette adorait sa maison. Son mari l’avait construite de fond en combles et s’était donné du mal, aussi elle était chaleureuse et spacieuse. Du moins elle avait été spacieuse jusqu’à ce que ses parents ne débarquent de Sicile et investissent la totalité de l’étage. Ils représentaient deux personnes de plus à sa charge et c’est pourquoi les temps étaient si durs. Si Pierrette ou son mari attendaient une quelconque marque de reconnaissance ils auraient été bien déçus. Une fois encore Adrien avait fait preuve d’une grande indulgence et acceptait patiemment la situation, mais depuis sa mort ils avaient recommencé à être violents avec elle. Coups de canne et réflexions acerbes l’attendaient au premier étage, mais ils étaient ses parents alors elle l’acceptait. Ils avaient eu sept enfants et Pierrette était ce que l’on appelait en Sicile « la fille sacrifiée». Celle qui élève les plus jeunes, gère la maison, les repas et plus tard s’occupe des parents lorsqu’ils ne le font plus eux même. C’était son sort. Plus jeune, elle avait pourtant eu des rêves et quelques ambitions. Elle avait un temps enseigné comme maitresse d’école avant de venir en France avec son frère ainé.
Pour l’heure elle avait une quantité de choses à gérer. Régler le problème d’électricité de la maison en était une. Depuis qu’elle dépannait elle-même ce type d‘ennui, la situation s’était insidieusement dégradée. Aussi lorsqu’elle étendait son linge mouillé sur les cordes de métal situées dans le jardin, elle prenait systématiquement une petite décharge électrique. Cela peut surprendre la première fois mais lorsque l’on est au courant du phénomène on évite de laisser trainer ses oreilles trop près des cordes, c’est aussi simple que cela. Ce type d’incident ne concernait pas uniquement le domaine de l’électricité malheureusement. Mais après tout à force de se charger de l’entretien complet de la maison ses lacunes diminuaient. Elle était passée maître en matière de rafistolage. Elle préférait en plaisanter en affirmant haut et fort à ses filles qu‘un jour elle construirai un château ! C’était là la plus grande des qualités de Pierrette, relativiser et plaisanter de tout. C’était son moteur pour ne jamais baisser les bras.
Après avoir remplit les estomacs et plongé le nez dans le compteur électrique sans pouvoir déceler d’où venait le problème, Pierrette s’accorda quelques minutes de repos. A peine assise à sa table elle failli sombrer dans ce qui aurait pu être une sieste lorsque les voisines vinrent lui confier leurs enfants pour l’après midi. Les cinq marmots étaient très jeunes ou en bas âge et nécessitaient toute son attention.
Une fois arrivés il ne fallait pas s’attendre à chômer. Ils étaient sorti du landau, allongés sur le lit, dépouillés du lange souillé, lavés, essuyés, talqués, changés, rhabillés et couchés tour à tour. Le tout, évidement accompagné de bruits et de paroles qui provoque l’hilarité chez tout bébé qui se respecte. Pierrette savait y faire avec les enfants et les enfant adoraient Pierrette.
Une fois les bébés couchés elle se retrouvait avec cinq langes de tissu maculés à laver au dehors par temps de neige, à la main. Autant dire que cette tache douloureuse prenait du temps. La suite n’était pas beaucoup plus reposante puisqu’il fallait prévoir le gouter des dix enfants puis le repas du soir.
Au retour de l’école ses filles courraient dévorer leurs tartines puis se plongeaient dans leurs devoirs, non sans que Pierrette ait du les y pousser un certain nombre de fois. L’instruction était une chose primordiale pour elle. Pierrette poussait ses filles à faire des études et souhaitait qu’elles obtiennent plus tard le baccalauréat afin d’avoir toutes les chances de faire un bon métier. Elles étaient toutes intelligentes et elle en était très fière. Son seul regret était de ne pouvoir les aider, mais vu sa façon d’écorcher les mots elle ne leur aurait pas rendu service en fourrant son nez dans les devoirs. Elles s’arrangeaient entre elles, les plus grandes aidant les plus jeunes.
L’heure du repas arrivait vite et avec lui son lot de discussions animées. Pierrette adorait écouter ses filles parler toutes en même temps. Elle leur posait milles questions sur leur journée et ce qu’elles avaient appris a l’école. Mais elles ne parlaient que de récréation et jeux de garçon. Dans une fratrie uniquement composée de filles, on court, on se bat et on grimpe aux arbres. Les siennes affectionnaient les films de cape et d’épées et fabriquaient elles-mêmes des costumes entiers à partir de feuilles de châtaigner et de longues aiguilles de pins. Les arcs et épées étaient de bois et de bâtons. Elles pouvaient jouer ainsi des heures durant le dimanche après-midi.
Elles aimaient aussi les jeux de filles. A défaut d’avoir assez de poupées ce sont les chatons qui se voyaient affublés de bonnets de nuit et couchés de force dans le petit landau de bois fait par leur père à l’occasion d’un noël. Ces animaux étaient bien braves…
Après le repas le père de Pierrette qui ne descendait pour ainsi dire jamais -c’est elle qui montait le repas chaque midi et chaque soir - s’occupait personnellement de la prière. Il obligeait ses petites filles à s’agenouiller par terre, durant 30 minutes chaque soir et à écouter son interminable litanie latine. La prière prenait fin une fois tous les saints de la création évoqués et chacun d’entre eux ayant reçu son « prega per noï ».
Enfin, au grand soulagement de ses filles, Pierrette prenait le relais et racontait aux plus jeune une histoire passionnante dont elle avait le secret.
Une fois endormies Pierrette éteignait leur bougie et partait allumer la sienne, son nécessaire de couture à la main.
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