Corbulon
17/06/2004, 10h32
Bon avant toute chose, sachez que si vous trouvez des mérites à cette critique, ils doivent être partagés avec Nanou, vu que nous l'avons rédigé ensemble. Mais bon elle ne vient jamais sur ce forum, et comme Dani ne va pas sur le forum Panini, j'ai choisi de la mettre ici aussi.
Fille Perdue (Nabiel Kanan/La boîte à Bulles).
A quel moment doit-on franchir le pas et passer de son cocon duveteux
d’enfant à la vie d’adulte ?
C'est un peu le dilemmne qui se pose lorsqu'on a 15 ans et que l'on est une fille. Parce qu'à cet âge-là, on a parfois envie d'autre chose que de passer ses vacances dans un camping d'une station balnéaire, et de faire des visites touristiques avec ses parents. On aurait plutôt envie de braver les interdits, impressionner sa copine qui est plus délurée que soi et qui se vante de consommer de l'herbe alors que vos parents pensent encore que vous êtes une petite fille, jouer un peu l'effrontée, pour avoir un plan drague avec le plus beau garçon de la place, fumer du shut (up on your face), et autres joyeusetés du même style. Alors quand Beth rencontre une fille à peine plus âgée qu'elle et que cette dernière ne se gène pas pour faire tout ce à quoi Beth aspire sans jamais oser le réaliser, et bien vous comprendrez que la jeune fille la plus sage est un peu perdue, entre son désir de ressembler à ce modèle alternatif et sa crainte d'aller trop loin dans le non-respect des règles.
Rare sont les auteurs qui sont capables de saisir à la perfection les doutes qui émaillent l'être humain, lors qu'il est adolescent. Le plus souvent, nous avons droit à un rendu caricatural, manichéen et des dialogues ou des scènes dignes des pires séries télévisées d'adolescent qui hantent le petit écran, avec en plus une fin moralisatrice à deux balles. Ce genre de chose est ici banni, Nabiel Kanan, avec l'aide de dialogues qui sonnent juste, qui sont souvent drôles et irrévérencieux tout en étant remplis de sous-entendus, retrace avec beaucoup de justesse et de vérité le malaise de l’adolescence et des fantasmes qui l’accompagnent. A travers cette rencontre entre Beth et cette jeune fille plus libérée qu’elle, le lecteur découvre la rébellion et les tourments qui l'animent, et est amené à se demander si cette confrontation signera la fin de l’enfance et de l’innocence chez Beth. Cependant la conclusion sera un peu surprenante et sera un peu un appel un hymne à un ailleurs meilleur et pas si lointain. Et puis Nabel Kanan est aussi extraordinaire parce que c'est un auteur masculin et que pourtant il arrive à donner une aussi bonne perception de ce que peux réellement être le malaise de l’adolescence côté féminin : se sentir inutile, vouloir ressembler aux autres qui nous sont si différents, voir poindre ses premiers atouts de séduction et en avoir peur… il est en effet dur de devenir une femme, de quitter les rêves et les contes pour entrer dans ce que nous réserve vraiment la vie adulte, un vide si inquiétant et attirant à la fois.
Enfin il y a le dessin de Nabiel Kanan déconcertant, si simple, si relâché et pourtant si expressif, où les personnages semblent se perdre dans les décors au détour d'une case, pour en ressortir avec des regards qui en disent longs dans celle qui suit... Un trait, qui rend bien des dialogues superflus et qui plus est arrive non seulement à représenter la réalité, mais surtout la non-réalité (appelez cela le rêve ou l'imaginaire, ou la quatrième dimension) d'une manière jamais vu ailleurs, ou en tout cas que moi je ne connais pas. Il y a des artistes qui sont très doués pour dessiner des univers à la frontière de la réalité et du rêve, je pense à Sienkiewicz ou Sam Kieth, mais aucun d'entre eux n'arrivent à le faire avec un style si épuré et si dépouillé, avec de surcroît une si grande économie de moyen. Et puis le plus étonnant dans tout cela, où alors ce qui prouve que Nabiel Kanan est un magicien, c'est que cette histoire de 90 pages est vite lu, et pourtant elle est marquante, et l'on regrette d'ailleurs de l'avoir finie, enfin finit-elle vraiment cette histoire ?
Et puis aussi sachez que Nabiel Kanan, comme Spencer Millidge, est un auteur qui s'auto-édite, alors non seulement en achetant cette bande dessinée vous passerez un bon moment, mais aussi, une fois n'est pas coutume, vous ne donnerez pas vos sous à une grosse multinationale et vous soutiendrez une diversité qui n'est pas factice.
Fille Perdue (Nabiel Kanan/La boîte à Bulles).
A quel moment doit-on franchir le pas et passer de son cocon duveteux
d’enfant à la vie d’adulte ?
C'est un peu le dilemmne qui se pose lorsqu'on a 15 ans et que l'on est une fille. Parce qu'à cet âge-là, on a parfois envie d'autre chose que de passer ses vacances dans un camping d'une station balnéaire, et de faire des visites touristiques avec ses parents. On aurait plutôt envie de braver les interdits, impressionner sa copine qui est plus délurée que soi et qui se vante de consommer de l'herbe alors que vos parents pensent encore que vous êtes une petite fille, jouer un peu l'effrontée, pour avoir un plan drague avec le plus beau garçon de la place, fumer du shut (up on your face), et autres joyeusetés du même style. Alors quand Beth rencontre une fille à peine plus âgée qu'elle et que cette dernière ne se gène pas pour faire tout ce à quoi Beth aspire sans jamais oser le réaliser, et bien vous comprendrez que la jeune fille la plus sage est un peu perdue, entre son désir de ressembler à ce modèle alternatif et sa crainte d'aller trop loin dans le non-respect des règles.
Rare sont les auteurs qui sont capables de saisir à la perfection les doutes qui émaillent l'être humain, lors qu'il est adolescent. Le plus souvent, nous avons droit à un rendu caricatural, manichéen et des dialogues ou des scènes dignes des pires séries télévisées d'adolescent qui hantent le petit écran, avec en plus une fin moralisatrice à deux balles. Ce genre de chose est ici banni, Nabiel Kanan, avec l'aide de dialogues qui sonnent juste, qui sont souvent drôles et irrévérencieux tout en étant remplis de sous-entendus, retrace avec beaucoup de justesse et de vérité le malaise de l’adolescence et des fantasmes qui l’accompagnent. A travers cette rencontre entre Beth et cette jeune fille plus libérée qu’elle, le lecteur découvre la rébellion et les tourments qui l'animent, et est amené à se demander si cette confrontation signera la fin de l’enfance et de l’innocence chez Beth. Cependant la conclusion sera un peu surprenante et sera un peu un appel un hymne à un ailleurs meilleur et pas si lointain. Et puis Nabel Kanan est aussi extraordinaire parce que c'est un auteur masculin et que pourtant il arrive à donner une aussi bonne perception de ce que peux réellement être le malaise de l’adolescence côté féminin : se sentir inutile, vouloir ressembler aux autres qui nous sont si différents, voir poindre ses premiers atouts de séduction et en avoir peur… il est en effet dur de devenir une femme, de quitter les rêves et les contes pour entrer dans ce que nous réserve vraiment la vie adulte, un vide si inquiétant et attirant à la fois.
Enfin il y a le dessin de Nabiel Kanan déconcertant, si simple, si relâché et pourtant si expressif, où les personnages semblent se perdre dans les décors au détour d'une case, pour en ressortir avec des regards qui en disent longs dans celle qui suit... Un trait, qui rend bien des dialogues superflus et qui plus est arrive non seulement à représenter la réalité, mais surtout la non-réalité (appelez cela le rêve ou l'imaginaire, ou la quatrième dimension) d'une manière jamais vu ailleurs, ou en tout cas que moi je ne connais pas. Il y a des artistes qui sont très doués pour dessiner des univers à la frontière de la réalité et du rêve, je pense à Sienkiewicz ou Sam Kieth, mais aucun d'entre eux n'arrivent à le faire avec un style si épuré et si dépouillé, avec de surcroît une si grande économie de moyen. Et puis le plus étonnant dans tout cela, où alors ce qui prouve que Nabiel Kanan est un magicien, c'est que cette histoire de 90 pages est vite lu, et pourtant elle est marquante, et l'on regrette d'ailleurs de l'avoir finie, enfin finit-elle vraiment cette histoire ?
Et puis aussi sachez que Nabiel Kanan, comme Spencer Millidge, est un auteur qui s'auto-édite, alors non seulement en achetant cette bande dessinée vous passerez un bon moment, mais aussi, une fois n'est pas coutume, vous ne donnerez pas vos sous à une grosse multinationale et vous soutiendrez une diversité qui n'est pas factice.